C’était un classique des weekends sur le bassin d’Arcachon lorsque j’étais enfant : au bout d’un moment, à l’approche de Biganos, on tordait le nez et mes parents soupiraient : « c’est Facture ». Ils faisaient d’ailleurs la même tête en recevant des lettres et soupiraient : « c’est encore une facture ».

Bref, la paperasse eut longtemps une odeur nauséabonde dans mon esprit, et ce n’est pas un atout pour être journaliste. Mais toutes les papeteries ne dégagent pas cette odeur. Seules celles qui fabriquent du kraft font grimacer le touriste.

Dans la région, l’usine de Facture bien sûr, la plus ancienne (1926), mais aussi celles de Mimizan et de Tartas, dans les Landes, sont concernées. Cela est dû essentiellement au sulfure d’hydrogène dégagé par le processus de fabrication.

Pour les amis de la poésie, c’est le même gaz qui est à l’origine de l’odeur des excréments et des flatulences. C’est ce que l’on appelle un gaz mercaptan, famille gazeuse dont on se sert à faible dose pour parfumer le gaz naturel afin de le rendre décelable, mais aussi les boules puantes. Tiens donc, comme on se retrouve…

Un jus de cuisson composé de matières organiques et de soude

Dans le procédé kraft, ou boucle kraft, parce que l’essentiel des sous-produits est réutilisé dans le processus de fabrication, on mélange des copeaux de bois, de la soude et du sulfure de sodium.

Portés à une certaine température, les deux éléments chimiques dissolvent le « ciment » qui entoure la fibre de cellulose du bois (la lignine) et l’on obtient d’un côté de la pâte à papier qui servira de base aux cartons d’emballage et, de l’autre, un jus de cuisson composé de matières organiques et de soude.

Or, pour que la boucle kraft soit bouclée, ce qui lui permet d’être peu gourmande en produits chimiques puisque 98 % sont réutilisés, on se ressert de ce jus en faisant évaporer l’eau qui contient aussi des éléments organiques : c’est la décomposition de leurs protéines qui produit le sulfure d’hydrogène, celui-là même qui sent mauvais.

Manque de chance, c’est un des gaz les plus facilement détectables par l’homme puisque, s’il est toxique à partir de 14 mg par mètre cube, on le perçoit à partir de 0,00066 mg/m3, autant dire presque rien. Et il est en outre très volatil et difficile à récupérer, même si des efforts ont été faits et se poursuivent, souligne Jean-Jacques Meyneng, ingénieur papetier chez Smurfit Kappa Cellulose du pin à Facture.

Donc, si les papeteries kraft sentent autant, c’est parce qu’elles font évaporer un produit en partie naturel, organique. Ce n’est pas une raison pour se laisser aller…

Jean Luc Eluard

Chronique réalisée en collaboration avec le Mag de Sud Ouest.
http://www.sudouest.fr/lemag/

Crédit photo : Pierre Baudier

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