Frédéric Bourgoin expérimente des manières différentes de faire pineau et cognac : l'oeuf en porcelaine, c'est la physique poussée au service du pineau

On connaissait le fût de chêne pour le vieillissement du vin, il faudra peut-être ajouter la porcelaine pour le pineau. C’est l’expérience née d’une rencontre entre un viticulteur de pineau et une entreprise de porcelaine. Le tout grâce au mouvement brownien. Kezako ?

« D’aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours testé des choses, bidouillé des trucs. Mon père était un peu pareil d’ailleurs ». Et là, le test attire l’oeil : un œuf en porcelaine de 20 litres, qui attend sagement l’équinoxe d’automne pour être ouvert et révéler le goût du pineau qu’il contient.

L’idée vient d’une rencontre avec Quentin Joly, issu du monde de la porcelaine de Limoges classique, fondateur de Biophytos, entreprise spécialisée dans l’utilisation de la porcelaine pour des contenants vinicoles. Une prouesse technique pour cette start-up limougeaude car la porcelaine, c’est de la pâte liquide de kaolin, simple à former en assiette mais complexe à assembler pour un contenant étanche. Mais intéressante pour ses propriétés : la matière est aussi neutre que le verre mais opaque.

Depuis septembre 2017, Frédéric Bourgoin fait vieillir du pineau en extérieur dans des dames-jeannes : « Je veux voir ce qu’il se passe sur un cycle solaire en entier. » Une idée vaguement inspirée des principes de la biodynamie de Rudolf Steiner : « Il y a des choses qui fonctionnent, d’autres qui sont plus ésotériques mais c’est intéressant. »
A l’oeil, ce vieillissement extérieur du pineau soumis aux amplitudes thermiques est évident : les tanins qui prennent la lumière deviennent noirs et le pineau prend les arômes du vieillissement avancé.

Le goût trop sucré du pineau disparaît

L’oeuf en porcelaine, c’est le stade supérieur : l’arôme reste mais grâce à l’opacité du matériau, le pineau garde sa limpidité. Et c’est là que le mouvement brownien entre en jeu. Rien à voir avec le déhanché de James Brown mais plutôt avec les observations du botaniste Robert Brown qui remarque que dans un liquide, les particules de déplacent de manière aléatoire en fonction de ce qu’elles heurtent. Avec la forme ovoïdale (ou ronde), le mouvement brownien, qu’Einstein a théorisé plus avant en 1905, devient plus « prévisible » et le liquide acquiert un mouvement continu du bas vers le haut, comme les masses d’air dans l’atmosphère : le plus chaud monte et échange sa place avec le plus froid…

Un vortex qui vieillit le liquide plus vite et qui, en brassant la lie, lui donne l’aspect « gras » du pineau avec beaucoup moins de sucres. Commencée avec un œuf de 20 litres qui sera vendu partagé en œufs de 3 litres chacun, l’expérience se poursuivra avec un autre de 350 litres. De quoi moderniser le pineau dont le goût trop sucré n’attire plus.

C’est la suite d’un lifting commencé en 2012, lorsque Frédéric Bourgoin hérite du domaine familial dont il fait un superbe domaine d’expériences, « une page vierge » : la vigne familiale, spécialisée dans le cognac et jamais dans le pineau, n’a jamais mis en bouteille sous son nom mais toujours vendu aux grandes maisons qui dominent le marché.

Frédéric Bourgoin s’y attelle aussitôt, fort de sa formation en viticulture-oenologie et en commerce. Et comme le marché est compliqué pour les nouveaux arrivants, il innove pour se démarquer. Et se faire connaître. Mais de là à appeler le mouvement brownien et Einstein à la rescousse pour produire du pineau…

Jean-Luc Eluard

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