douleurMan suffering from back pain on bed at bedroom

Une lésion, une dent arrachée, un bras cassé, un mal de dos… Pour un même mal, d’une intensité similaire, chacun d’entre nous le vivra différemment, avec plus ou moins de souffrance. Pourquoi ?

« Il n’y a pas de douleur en soi, mais seulement des hommes douloureux », affirme depuis des années Guy Simonnet, professeur émérite à l’université de Bordeaux, membre de l’Institut de Neurosciences cognitives et Intégratives d’Aquitaine du CNRS. « Cela arrange la société d’offrir une médecine technique. Il y a une biologie bien sûr de la douleur, mais, dans les pratiques actuelles, cette médecine technique tend à effacer l’homme ».

Co-auteur de l’ouvrage « L’homme douloureux » (1), ce neurobiologiste a étudié durant des années les cas d’individus présentant une hypersensibilité à la douleur. « Les tests ont montré qu’au niveau du ressenti de la douleur, nous ne sommes absolument pas égaux. Et ce, quel que soit le degré de gravité du dysfonctionnement organique, de la lésion, de la pathologie… Au niveau biologique, les individus ont peu de différences. La principale, c’est surtout notre histoire individuelle plus ou moins douloureuse ».

Stress, environnement, vécu… des influences multiples

Il y a, par exemple, de fortes probabilités de se montrer plus sensible à la douleur si on a un tempérament anxieux ou que l’on est placé dans un environnement plus ou moins stressant. « Il a été montré que les patients opérés d’un même geste chirurgical par la même équipe de chirurgiens et dans le même hôpital consomment 2,5 fois moins d’analgésies forts, en particulier d’opioïdes (morphine ou dérivés), quand ils sont placés après l’opération dans une chambre donnant sur les arbres du parc de l’hôpital que dans une chambre donnant sur les murs d’un autre bâtiment », illustre Guy Simonnet.

« On sait également, qu’après une hospitalisation, si le patient retourne chez lui, dans un logement précaire, dans la solitude, avec des problèmes familiaux ou financiers, sa sensibilité à la douleur sera sans doute plus forte ».

De même, le fait d’avoir vécu ou accompagné une personne malade (parent, conjoint,…), peut de même activer cette hypersensibilité, par un effet de « contagion émotionnelle ». Tout peut dépendre également du contexte d’apparition de la douleur. Si une blessure est provoquée par l’inattention d’un chauffard et qu’on considère cette blessure comme « injuste », si on se sent coupable, ou si on est en pleine période de divorce ou de chômage… Tout cela peut modifier notre perception de la douleur.

Glisser d’une sensibilité normale à une sensibilité exacerbée

D’autres facteurs entrent en compte : son sexe, sa situation sociale, la pratique ou non d’activité physique, son alimentation, le rapport de sa famille ou de son groupe social à la maladie…Le passé pèse aussi énormément dans la balance. Ainsi chez ceux souffrant notamment de douleurs chroniques durables (fibromyalgie, mal de dos, migraines…), il a été mis en évidence que ces personnes avaient bien souvent été marquées par des enfances pleines d’épreuves : inceste, abandon, maltraitance….

« Une blessure narcissique profonde redouble bien souvent le sentiment de la douleur. On voit ainsi beaucoup de personnes, à l’enfance meurtrie, qui se montrent pendant des années ultra-dynamiques, dévouées aux autres, sont soudain à bout et témoignent d’un ressenti extrêmement douloureux pour, par exemple, un mal de dos. Dans ces cas, la douleur vient jouer un rôle d’alerte, de signal pour soi ou les autres… elle est un signe psycho-biologique de ce que vous êtes  », ajoute Guy Simonnet.

Guy Simonnet, professeur émérite à l’université de Bordeaux, membre de l’Institut de neurosciences cognitive et intégratives d’Aquitaine du CNRS.

Si, dans son passé, l’individu a été confronté à la douleur, a déjà subi accidents ou lésions, il est de même fort probable, que face à une nouvelle pathologie, il ressente plus fortement la sensation de douleur. Pour le neurobiologiste, « le système de l’hypersensibilité et de mémoire se branche sur les réseaux neuronaux de la douleur…  Nos recherches ont également montré que la prise plus ou moins fréquentes d’antalgiques, opioïdes, morphine.. peut entraîner à long terme de l’hyperalgésie, soit un ressenti exagéré à la douleur », ajoute Guy Simonnet,

Il est essentiel « de ne plus séparer le soma du psyché et de ne plus réduire la prise en charge des malades à la seule approche biomédicale et pharmacologique en replaçant à nouveau l’homme et son histoire au cœur de ses souffrances ».

 

Marianne Peyri

 

 

(1) « L’Homme douloureux », Guy Simonnet, Bernard Laurent, David Le Breton, Ed. Odile Jacob, Sciences, nov.2018.

 

 

 

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