Pendant que le monde entier retient son souffle et compte les morts du COVID-19, l’hécatombe de dauphins communs liée aux activités de pêche se poursuit. Avec un risque pour l’ensemble de la population fréquentant le golfe de Gascogne.

 

993. C’est le nombre de dauphins communs (Delphinus delphis), retrouvés échoués sur nos côtes au 18 mars 2020. Depuis trois ans, les hivers se suivent et se ressemblent avec leur lot d’échouages massifs recensés par l’Observatoire Pélagis (Rochelle Université / CNRS). Comme les années précédentes, la Charente-Maritime représente le deuxième département le plus touché, derrière la Vendée. La Gironde et les Landes arrivant en 3eme et 4eme position de ce macabre décompte.

La faute aux tempêtes hivernales ? Que nenni… car les tempêtes ne font que repousser à la côte les cadavres de ces cétacés, victimes collatérales de l’activité des pêcheries françaises et étrangères (notamment espagnoles) qui opèrent l’hiver près de nos côtes.

« Les récentes mortalités de dauphins communs en 2019 (…) sont les plus élevées jamais recensées depuis 40 ans. Ces mortalités correspondraient à environ 11 300 individus morts en mer dans les engins de pêche. »     Rapport CAPECET 2019*

Les dauphins victimes collatérales de la pêche

La synthèse 2019 de l’état des connaissances sur les captures accidentelles des dauphins communs dans le golfe de Gascogne laisse en effet peu de doutes… En 2019, 85% des individus examinés par les correspondants du Réseau National Echouages, coordonné par l’Observatoire Pélagis, « présentaient des traces internes et externes de mort dans des engins de pêche ».

Il s’agissait pour l’essentiel de dauphins en bon état général pour lesquels d’autres causes de mort sont exclues. Il apparaît également que les zones de mortalité de ces cétacés sont corrélées avec l’activité des pêcheries ciblant « les poissons prédateurs en hiver (surtout merlus, bars et lottes) » et utilisant des engins de pêche à « grandes ouvertures verticales ou grandes hauteurs de filets », comme les chaluts de fond en bœuf utilisés par les pêcheries espagnoles ou les fileyeurs français utilisant le trémail pour la pêche à la lotte et les filets calés pour le merlu.

Le Réseau national échouages procède aux évacuations de cadavres de dauphins communs échoués sur les plages. PHOTO/Observatoire Pélagis

Des mesures de protection encore insuffisantes

Depuis l’hiver dernier, les 30 chaluts pélagiques français sont équipés de répulsifs acoustiques (les pingers) qui limitent les captures accidentelles. « Mais ce n’est pas suffisant », martèle Hélène Peltier, en charge du programme : « Cétacés et activités humaines : mise en place d’indicateurs d’interactions avec les pêcheries. » Équiper les 300 fileyeurs qui opèrent dans ces eaux « est une fausse bonne idée » car cela « reviendrait à empêcher les dauphins de venir se nourrir dans le golfe de Gascogne ». D’autres préconisations sont à l’étude notamment « des programmes d’observation par caméras embarquées. Vu l’ampleur du phénomène, il va aussi falloir penser à des solutions à grande échelle ».

Chronique d’une disparition annoncée

Les mortalités estimées durant l’hiver 2019 étaient déjà les plus élevées depuis 1990 et « le bilan de l’année 2020 risque d’être encore pire que celui de l’année précédente » prédit en effet Hélène Peltier. Or, cette situation dépasse largement ce qui est soutenable** pour la population de dauphins communs du golfe de Gascogne » estimée à 200 000 individus environ.

Dans d’autres régions du monde « les interactions entre petits cétacés et filets sont à l’origine de la disparition de deux espèces de petits cétacés : le baiji (Lipotes vexillifer) en Chine dans les années 1980 et la vaquita (Phocoena sinus) dans le golfe de Californie », dont il ne resterait que 13 individus. « Il y a urgence à réagir pour éviter que le dauphin commun soit le prochain sur la liste ».

Alexandrine Civard-Racinais

Crédit photo de une : G. Doremus / Observatoire PELAGIS

 

*Peltier H., Authier M., Caurant F., Dabin W., Dars C., Demaret F., Meheust E., Ridoux V., Van Canneyt, O., Spitz J., 2019. Etat des connaissances sur les captures accidentelles de dauphins communs dans le golfe de Gascogne – Synthèse 2019. Rapport scientifique dans le cadre de la convention avec le MTES. Observatoire PELAGIS – UMS 3462, La Rochelle Université / CNRS, 23 pages.

** L’abondance des dauphins communs sur le plateau du golfe de Gascogne et la Manche ouest a été estimée à près de 200 000 individus lors de la campagne SAMM d’hiver en 2011-12 (Laran et al., 2017). Les taux de mortalité anthropique annuels estimés en divisant la mortalité par capture accidentelle par l’abondance totale estimée dépassent très largement le seuil de 1% communément admis de mortalité additionnelle pour une population de petits cétacés (ASCOBANS, OSPAR, BEE DCSMM).

 

La science à l’épreuve du Coronavirus de Wuhan

L’année 2020 va être une année compliquée pour les scientifiques de l’Observatoire Pélagis. Il est probable que les données collectées en mars et avril seront en baisse. Seront-elles le reflet d’une baisse des échouages et d’un recul des captures accidentelles entraînant la mort des dauphins communs ou… d’une diminution des signalements liée à une moindre présence humaine sur les plages ? La seconde hypothèse est sans doute celle à retenir. Depuis les arrêtés préfectoraux interdisant l’accès aux plages, le littoral est déserté. Si échouages nouveaux, il y a… ils seront invisibles pendant un certain temps.

Photo G. Doremus / Observatoire Pélagis

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