Le financement des médias et ce qui en découle font l’objet de nombreuses spéculations.  Qu’en est-il réellement? Nous avons posé la question à Julia Cagé, « Assistant Professor » en économie à Sciences Po et chercheuse affiliée au Center for Economic and Policy Research.

« C’est une excellente question, mais qui est loin d’être évidente ! On est plutôt habitué à répondre à la question suivante : qui possède les médias ? Mais la question du financement est d’une certaine façon encore plus intéressante ! Quelles sont les possibilités ?

1- Les citoyens comme lecteurs / consommateurs, par exemple à travers leurs abonnements. On voit que c’est de moins en moins le cas aujourd’hui : moins de 15% des Français se disent prêts à payer pour l’information qu’ils consomment.

2- Les citoyens indirectement à travers la publicité. C’est également de moins en moins le cas. Le marché de la publicité numérique est très largement capturé par les GAFAs, et de plus en plus nombreux sont les consommateurs qui utilisent un bloqueur de publicité en ligne.

3- Les citoyens indirectement à travers leurs impôts, tout d’abord la redevance TV pour l’audiovisuel public, et plus généralement les aides publicitaires aux médias.

4- Enfin les actionnaires, qui sont de plus en plus souvent des actionnaires industriels extérieurs au secteur des médias prêts à financer les médias « à perte ». 

Et c’est là que l’on rejoint la première question : qui possède les médias et pourquoi?

Il faut s’interroger sur les raisons qui font qu’un petit nombre de « mécènes » sont prêts à payer pour produire une information que nous consommons gratuitement. Et sur les risques que cela fait peser sur l’indépendance des médias et sur la qualité de l’information que nous consommons.

La censure et la défiance

Julia Cagé rappelle : « une démocratie n’est pas un système où un seul individu peut décider du futur d’un média ; cela fragilise trop l’indépendance des journalistes »

D’abord, il y a le problème de la censure que peuvent faire peser certains actionnaires sur leurs rédactions. Il n’y a qu’à penser à Vincent Bolloré et Canal plus ou Bernard Arnault et le (non-)traitement par Le Parisien du film « Merci Patron !« .

Ensuite, il y a la problématique de l’auto-censure : si vous travaillez pour un journal, une radio ou une télévision possédé par Patrick Drahi, comment pouvez-vous en toute objectivité parler de la 5G ? Il ne s’agit pas de dire que les journalistes ne le font jamais, mais que cela peut les mettre dans des situations extrêmement compliquées.

Cela pose aussi le problème de la défiance des citoyens dans leur rapport à l’information ; ce n’est pas pour rien que moins d’un quart des Français font aujourd’hui confiance aux médias !

Plus généralement, une démocratie n’est pas un système où un seul individu peut décider du futur d’un média ; cela fragilise trop l’indépendance des journalistes. C’est d’ailleurs pour ça que nous avons créé l’association Un Bout du Monde, pour remettre les journalistes et les lecteurs au cœur de la gouvernance et de l’actionnariat des médias ».

Retrouvez toutes les interviews de notre série sur l’esprit critique : lire ici.

Propos recueillis par
Jean Berthelot de La Glétais

 

Avec le soutien du ministère de la Culture

 

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