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Vérité ou opinion? Pour Jean-Claude Monod, chargé de recherche au CNRS, enseignant en philosophie politique à l’École normale supérieure, la frontière entre les deux n’est plus aussi nette qu’autrefois. 

« À première vue, la différence pourrait sembler évidente entre des faits et une opinion. Les faits sont des événements indiscutables, les opinions des commentaires sur ces mêmes événements. Classiquement, d’ailleurs, on distingue plutôt une différence entre opinion et vérité, entre une chose qui se passe et l’appréciation subjective que l’on en a. 

Mais en réalité, il me semble qu’une multitude de facteurs contribuent à abolir une frontière entre les uns et les autres. La presse n’y est pas étrangère. Le média papier n’a jamais été une garantie d’objectivité de distinction claire entre faits et opinions, il ne faut pas en avoir une vision idéalisée. Mais il y avait tout de même moins d’expressions tous azimuts. Il y avait un travail d’enquête que l’on pouvait, le plus souvent, distinguer d’une expression d’opinions. 

« La frontière s’efface peu à peu »

Jean-Claude Monod explique : « Il y a une forme d’évolution qui fait qu’il y a une dépossession de la parole des experts, vu comme élitistes ou souhaitant porter atteinte à la vox populi »

Aujourd’hui, nous sommes entrés dans une époque où le commentaire et l’éditorialisation du fait sont aussi importants que le fait lui-même, sinon plus. C’est notamment vrai sur les chaines d’information en continu. Il y a une concurrence entre elles, en particulier une fois que le fait est établi. Ce qui les singularisent, c’est ce que les intervenants disent ou invitent à penser. Le problème, c’est que nombre d’entre eux s’improvisent spécialistes de sujets complexes qu’ils ne maitrisent pas du tout. Et donc, on diffuse l’idée que toutes les opinions se valent, quel que soit le degré de connaissance d’un sujet. Comme si telles étaient aussi légitimes les unes que les autres. 

C’est une incompréhension de ce qu’est la démocratie : bien sûr, tous les avis peuvent s’exprimer. Mais celui des véritables spécialistes doit pouvoir être mieux entendu ; non seulement ce n’est pas le cas, mais c’est même pire que cela. Il y a une forme d’évolution qui fait qu’il y a une dépossession de la parole des experts, vu comme élitistes ou souhaitant porter atteinte à la vox populi s’ils ne pensent pas comme elle. C’est très frappant, par exemple, dans les émissions de Cyril Hanouna, qui rassemblent souvent des journalistes et où l’on évoque tout sans connaissance particulière, comme on le faisait autrefois au café. 

En parallèle, la défiance grandit envers les médias traditionnels, qui auront plus tendance à aller chercher des spécialistes pour évoquer des sujets. C’est cet ensemble de faits qui, de mon point de vue, amène peu à peu la frontière entre vérité et opinion à s’effacer. »

Retrouvez toutes les interviews de notre série sur l’esprit critique : lire ici.

Propos recueillis par
Jean Berthelot de La Glétais

 

Avec le soutien du ministère de la Culture

 

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