Si l’inflation actuelle impacte en premier les plus défavorisés, les classes moyennes sont aussi touchées. Et elles s’inquiètent. A quel point cependant le ressenti de « régression » qui s’est installé depuis plusieurs années, est-il justifié ? Décryptage avec Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des Inégalités
Les classes moyennes, c’est un peu l’auberge espagnole, les « ni très riches ni très pauvres ». Une catégorie sociale, à première vue fourre-tout, et qui ne bénéficie d’ailleurs d’aucune définition officielle. Selon certains, tels que le CREDOC, elle représenterait 50% de la population totale, ceux lovés entre les 30% les plus pauvres et les 20% les plus riches. D’autres paramètres intègrent dans ces classes moyennes les personnes aux salaires mensuels compris 1300 et 2300 euros, une fourchette assez large. On peut de même se baser sur le revenu mensuel médian de 1837 € pour une personne seule établi par l’Insee, ce qui signifie que 50% des salariés gagnent moins que cette somme et que l’autre moitié gagne plus.
Les classes moyennes sont loin de disparaître
Pour une analyse sociologique plus fine des transformations de la société, l’Observatoire des Inégalités, lui, s’est basé sur une répartition par catégories socio-professionnelles, ce qui permet de tenir compte des revenus mais aussi de la position sociale (ouvriers, professions intermédiaires, cadres…). Premier constat : ces classes moyennes, notamment les professions intermédiaires sont loin de disparaître, contrairement à ce qu’on a pu parfois entendre. Au contraire. « Alors qu’elles représentaient, en nombre de personnes, dans les années 80, 40% de la population totale, elles ont dépassé les 43% en 2020 », analyse Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.
Des revenus qui stagnent
S’il n’y a pas eu de déclin des classes moyennes, elles n’en sont pas moins confrontées à des difficultés sur l’évolution des niveaux de vie. L’autre constat majeur est en effet une stagnation de leurs revenus depuis le milieu des années 2000, et notamment depuis la crise de 2008. « Après la crise des années 70, le système a continué à tenir jusqu’à la fin des années 90. C’est surtout au début des années 2000 qu’il y a eu une stagnation de la croissance et de fait de l’augmentation des revenus. Pour les classes moyennes, ce coup de frein est d’autant plus dur que les années précédentes avaient été marquées par une forte expansion. Plus on est en croissance, plus ça fait mal », précise Louis Maurin.
La perte d’horizons possibles
Beaucoup de personnes de la classe moyenne ont au fil des années dû renoncer à certaines dépenses et ce d’autant plus avec l’inflation actuelle. Pour le directeur de l’Observatoire des Inégalités, « cela a créé une forme de ressentiment, pas seulement lié à la stagnation des revenus, mais aussi à la perte d’horizons possibles, d’ascension et de mobilité sociales… Il y a la crainte d’être licencié, que ses enfants ne trouvent pas de travail, un sentiment d’exclusion avec une école réservée aux enfants de diplômés (seuls 20 % en France de la population a un BAC+2), la guerre en Ukraine qui alimente les craintes… »
Le sentiment de mépris
Les classes moyennes, qui face à la hausse des prix de l’immobilier sont souvent parties vivre dans les couronnes, souffriraient également d’un discours de classe méprisant sur la France périurbaine, de pavillon, qui roule au diesel et font des barbecue… « Ce ressentiment s’illustre par la montée des votes de protestation, la crise des gilets jaunes…, avec le sentiment de payer pour les autres, qu’on s’occupe des plus pauvres, grâce au système de protection sociale et des plus riches (en baissant leurs impôts comme en 2017), mais pas d’eux. Un sentiment qui est d’ailleurs utilisé par certains politiques de façon démagogique », ajoute Louis Maurin.
L’inflation fera des perdants
Selon lui, avec une inflation d’environ 6% enregistré en 2022, ceux qui en paieront le prix seront surtout ceux n’ayant pas réussi à obtenir une réévaluation de leurs salaires, ceux travaillant par exemple dans des petites entreprises elles-mêmes en difficulté. « L’inflation c’est un jeu de pouvoir mais la difficulté cependant sera surtout pour ceux qui gagnent le moins. Pour les classes moyennes, ce sont des éléments plus forts que ceux monétaires qui se jouent. Le problème plus structurel est d’arriver à revenir à une idée de sécurité et de progrès partagé. »
Marianne Peyri
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