La grève dans les raffineries commencée le 27 septembre a connu un tournant avec les réquisitions de salariés décidée par le gouvernement. Un tournant aussi pour l’information où tout et son contraire est dit sur le droit de grève et la réquisition. Entre outil juridique et atteinte au droit (constitutionnel) de grève, on fait le point avec Arnaud Lecourt, directeur de l’Institut d’études judiciaires de Pau

A quand remonte le droit de grève et pourquoi a-t-il été créé ?

Il n’y a pas vraiment de date mais cette conquête du droit de grève remonte au XIXe siècle. C’est un droit qui a été affirmé dans le préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie celui de la Constitution de la Ve République de 1958.

Une fois que l’on a dit que c’est un droit de valeur constitutionnelle, on sait également que cela ne peut pas être un droit  absolu. Depuis une décision du Conseil constitutionnel de 2007, il a été affirmé très clairement que, pour le service public, il y a toujours la nécessité d’un équilibre entre le droit de grève et la continuité du service public. C’est la notion de « service minimum » avec l’adoption de la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (1) .
Il n’y a pas de réglementation générale de la grève mais il y a une réglementation spécifique au secteur public.

Le droit de grève a été créé pour permettre aux travailleurs de réclamer des hausses de salaires, une amélioration de leurs conditions de travail, pour protester contre des licenciements…

Dans quelles conditions la réquisition peut-elle s’exercer ? Et est-ce que tout le monde peut faire grève ?

Il y a quelques interdictions qui concernent notamment les militaires, les fonctionnaires de police, les CRS, les magistrats judiciaires…

La réquisition intervient dans cette idée paradoxale que le droit de grève a bien valeur constitutionnelle mais n’est pas absolu. Jusqu’à présent, la seule brèche creusée dans ce droit constitutionnel est la notion de service minimum mais qui s’applique uniquement au service public. Dans le cadre des entreprises privées, nous n’avons pas cette notion de continuité de service public. C’est là qu’intervient la notion de réquisition. C’est le cas aujourd’hui des entreprises pétrolières pour les raffineries.

A quels principes répond la mise en place de ce type de réquisition ?

Ce qui est contesté dans la réquisition, c’est que l’on considère que c’est une atteinte au droit de grève. C’est du moins ce que mettent en avant la plupart des syndicats de salariés. Juridiquement, c’est faux ! Ce n’est pas une atteinte au droit de grève au sens juridique car c’est une solution qui est prévue par le législateur. La loi dit que la réquisition peut s’exercer uniquement en cas d’urgence.

L’urgence est interprétée depuis une vingtaine d’années par l’atteinte à l’ordre public : l’atteinte à la salubrité, l’atteinte à la tranquillité, l’atteinte à la sécurité publique. En règle générale, on déclenche des réquisitions non seulement lors qu’il y a urgence en raison d’atteintes graves à l’ordre public.

Ici, c’est ce qui est le cas pour les raffineries car l’idée défendue est qu’il y a menace d’un trouble d’une gravité particulière. La gravité tient dans la désorganisation du pays, le blocage des services ambulanciers, des taxis, des routiers, etc. Il y a un risque extrêmement important de troubles d’une gravité particulière.

Dans ce cas, pourquoi la réquisition n’a-t-elle pas été utilisée lors des grandes grèves de 1995 qui a touché plusieurs secteurs essentiels ?

Juridiquement, c’est-à-dire d’un strict point de vue scientifique, il faut comprendre que la réquisition en elle-même n’est pas une atteinte au droit de grève. C’est un outil juridique. En revanche, d’un point de vue substantiel, évidemment, la réquisition est une atteinte au droit de grève mais autorisée par la loi. C’est une atteinte au droit de grève car c’est une manière de briser une grève et de venir contrebalancer le mouvement social.

Si la réquisition n’est pas intervenue en 1995, c’est que cela a été un choix politique. Le gouvernement a alors décidé de privilégier le dialogue social.
Quand on recourt aux réquisitions, c’est que l’on fait le choix d’une stratégie plus dure.

Propos recueillis
par Alexandre Marsat

(1) Complétée par la loi n° 2008-790 du 23 juillet 2008 instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire. Voir l’article scientifique de Philippe Martin publié ici.

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