Le phénomène du perfectionnisme s’est considérablement amplifié au cours des vingt-cinq dernières années, et il affecte autant les hommes que les femmes.

C’est ce que nous avons appris en menant récemment l’une des plus importantes études jamais réalisées au sujet du perfectionnisme. Et nous avons aussi appris que les perfectionnistes deviennent de plus en plus névrosés et instables, et moins fiables et organisés au fil du temps.

Le perfectionnisme, c’est une quête d’absolu et une exigence de perfection chez soi et chez les autres. Il se manifeste par des réactions extrêmement négatives à la critique, une autocritique très dure, un sentiment d’incertitude par rapport à sa propre performance, et la conviction profonde que les autres sont aussi critiques et exigeants d’eux-mêmes.

En tant que psychologue clinicien au département de psychologie et de neuroscience de l’université Dalhousie et conférencier en méthodologies de recherche à l’université York de St John, nous bénéficions conjointement d’une vaste expérience de la compréhension, de l’évaluation, du traitement et de l’étude du perfectionnisme.

Et ce que nous observons nous inquiète beaucoup.

Nous croyons qu’il est urgent de mettre l’accent sur des méthodes préventives – réduire les pratiques parentales sévères et contrôlantes, ainsi que les influences socio-culturelles, telles que les images médiatiques irréalistes qui encouragent le perfectionnisme. Il est également nécessaire d’intervenir auprès des perfectionnistes en situation de détresse.

La souffrance des milléniaux

Afin de mieux comprendre le perfectionnisme, nous avons mené une méta analyse à grande échelle de 77 études effectuées auprès de 25 000 participants. Deux tiers environ de ces participants étaient de sexe féminin. Beaucoup d’entre eux étaient des étudiants universitaires de type caucasien et originaires des pays du bloc occidental (comme le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni). Leur tranche d’âge s’étendait de 15 à 49 ans.

Nous nous sommes aperçus que les jeunes d’aujourd’hui sont plus perfectionnistes que jamais et que cette tendance s’est considérablement accentuée depuis 1990. Ce qui signifie que les milléniaux se débattent davantage avec le perfectionnisme que les générations qui les ont précédés – ce que confirment les études menées précédemment.

La poursuite sans fin du succès peut être épuisant et dangereux. (Unsplash/Alora Griffiths), CC BY

Les causes du perfectionnisme sont complexes. S’il a augmenté, c’est en partie dû à la concurrence féroce qui caractérise le monde dans lequel nous vivons, alors qu’on attache une importance excessive à la position sociale et à la performance, et où les « gagnants » et les intérêts égoïstes sont mis de l’avant.

Les parents enclins à la critique surveillent leurs enfants de trop près, ce qui favorise le développement du perfectionnisme. Les publications sur les médias sociaux qui mettent en valeur des vies aussi parfaites qu’irréalistes et les publicités sur papier glacé illustrant des niveaux de perfection inatteignables, obligent les milléniaux à se mesurer à trop de critères de succès ou d’échec. Rivaliser avec ses voisins n’a jamais été aussi difficile.

Cette épidémie de perfectionnisme dans nos sociétés occidentales contemporaines pose de sérieux problèmes, mortels parfois. Car la recherche a établi un rapport très fort entre le perfectionnisme, le stress, la dépression, les troubles alimentaires et le suicide.

En vieillissant, les perfectionnistes s’effondrent

Nous avons également découvert qu’au fur et à mesure qu’ils vieillissent, les perfectionnistes semblent s’effondrer. Leurs névroses vont en augmentant, (ils sont plus sujets aux émotions négatives telles que la culpabilité, la jalousie et l’anxiété), et ils deviennent moins consciencieux (moins organisés, efficaces, fiables, et disciplinés).

Cette quête de perfection – un objectif intangible, passager et rare – peut mener à des échecs plus fréquents et à de rares réussites, ce qui laisse le perfectionniste baigner dans un état d’autocritique qui frise la névrose. Il devient ainsi moins susceptible de poursuivre consciencieusement ses objectifs.

Globalement, ces résultats suggèrent que les choses ne vont pas en s’améliorant pour les perfectionnistes. Dans notre monde plein de défis, brouillon et imparfait, les perfectionnistes risquent l’épuisement en vieillissant, ce qui les rend plus instables et moins assidus.

Nous avons également noté qu’hommes et femmes font preuve d’un niveau de perfectionnisme similaire.

La tendance à baigner dans un état de névrose déclenché par nos échecs s’accélère avec l’âge. (Shutterstock)

Ce qui suggère que nos sociétés occidentales me mettent pas de pression différenciée selon le genre. Il semble que les rôles attribués selon le sexe permettent (ou encouragent) tant les hommes que les femmes à rechercher la perfection.

Les recherches à venir devraient évaluer les motivations des perfectionnistes selon le genre: les hommes recherchent-ils la perfection pour la réussite (par exemple, être en compétition pour des ressources) alors que les femmes seraient davantage motivées par des raisons relationnelles (par exemple, faire plaisir aux autres)?

L’antidote: l’amour sans conditions

Le perfectionnisme est une épidémie majeure et mortelle pour nos sociétés occidentales. Elle est largement méconnue. De nombreux perfectionnistes en état de détresse dissimulent leurs imperfections à ceux qui pourraient leur venir en aide (psychologues, enseignants, ou médecins de famille). Il nous faut apporter des réponses à cette épidémie tant au niveau parental qu’au niveau culturel.

Valoriser les enfants pour ce qu’ils sont peut prévenir des symptômes d’anxiété futurs. (Unsplash/Caroline Hernandez), CC BY

Les parents doivent s’efforcer d’être moins contrôlants, critiques et surprotecteurs envers leur progéniture, leur apprendre à tolérer et à bénéficier de leurs erreurs tout en encourageant les bienfaits du travail et de la discipline plutôt qu’une vaine quête de la perfection.

Il semble que l’amour inconditionnel, celui par lequel un parent ne valorise pas son enfant sur les seules bases de sa performance, de son classement ou de son apparence, soit le meilleur antidote au perfectionnisme…

Si le perfectionnisme est un mythe, les médias sociaux en sont le propagateur. Il nous faut insuffler une forte dose de scepticisme envers ces vies « parfaites » qu’on agite devant nous par l’intermédiaire des médias sociaux ainsi que dans les publicités qui apparaissent dans les médias traditionnels.

Les images irréalistes que l’on peut produire grâce aux logiciels, aux retouches et autres filtres, perdent beaucoup de leur attrait lorsque l’on comprend que les dés sont pipés.

Simon Sherry, Professor, Clinical Psychologist, and Director of Clinical Training in the Department of Psychology and Neuroscience, Dalhousie University et Martin M. Smith, Lecturer in Research Methods, York St John University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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