Sauver la planète ! La tâche est immense et peut-être illusoire. Car la Terre nous survivra. Mais qu’adviendra-t-il de la fraction vivante de notre planète, cette biodiversité que nous malmenons chaque jour ? Nous avons posé la question à Gilles Boeuf, biologiste et ancien président du Muséum National d’Histoire Naturelle à Paris, infatigable ambassadeur du Vivant

« On me demande souvent : « vous voulez sauver la planète ? » Pas du tout ! C’est la biodiversité qu’il faut sauver. Ou plutôt le Vivant. C’est un terme plus concret. La biodiversité, c’est la fraction vivante de la nature, dans toute sa complexité. Elle est partout. Autour de nous, et en nous. Arrêtons d’imaginer que nous sommes séparés de la nature ! Un corps humain compte plus de bactéries que de cellules humaines. Au moins 10 fois plus. L’humain est profondément imbriqué dans la biodiversité. Il en tire sa nourriture, ses médicaments… Or, le Vivant vit une crise d’effondrement du nombre d’individus au sein des populations d’espèces sauvages. Et cette crise est la conséquence directe de nos activités humaines prédatrices.

Le Vivant fout le camp

Le dernier rapport du WWF, Planète Vivante (2022), dresse un constat alarmant. Nous avons perdu 69% des populations sauvages de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons suivies entre 1970 et 2016. C’est un effondrement sans précédent ! En l’espace de 50 ans, la moitié des éléphants a disparu. 

Si le sort de certains animaux emblématiques nous émeut encore, l’esturgeon d’Europe est en train de disparaître dans l’indifférence générale. Il n’en subsiste plus que quelques centaines dans la Dordogne, la Garonne et l’estuaire de la Gironde. Et qui se soucie des lombrics ou de l’anguille européenne, si abondante autrefois ?

Les humains s’en foutent

Nous vivons à la fois une crise climatique et une crise d’effondrement du Vivant. Mais la première nous préoccupe plus que la seconde. Le changement climatique fait peur aux humains. L’effondrement du Vivant, pas du tout. On ne le perçoit pas. Pourtant climat et Vivant, même combat. Ces crises ont, et auront des conséquences désastreuses pour les humains, en particulier pour les plus pauvres

L’émergence du SARS-COV2 qui a fait 20 millions de morts sur la planète est lié à la destruction des écosystèmes, première cause de destruction du Vivant, et à la promiscuité entre espèces sauvages et domestiques. Notons au passage que la biomasse de nos volailles représente 70% de la biomasse des oiseaux ! La concentration de ces volailles dans des élevages intensifs déroule aussi un tapis rouge pour les virus émergents. Bientôt on n’aura plus d’éléphants et on aura contaminé durablement les sols et les mers, mais on aura de nouveaux virus. Est ce vraiment ce que nous voulons ?

S’adapter ou s’effondrer

Depuis le 15 novembre 2022, nous avons passé le cap des 8 milliards d’êtres humains sur la planète. On ne nourrira pas 8 milliards d’humains avec des sols morts. Si vous n’avez plus de vers de terre, d’invertébrés divers, de champignons et de bactéries dans les sols, ils s’appauvrissent. Il faut ramener du Vivant partout. Nous avons une seule planète, on ne peut pas la quitter, du moins pas tout de suite. Dans chaque projet humain, il faut intégrer ou réintégrer la biodiversité. Et arrêter de prendre plus que ce que la nature peut nous donner.

Si nous ne changeons pas profondément notre rapport au Vivant, nous courrons à notre perte. Edgar Morin dit « il nous faut changer de voie sans quoi on va vers l’abime ». Écoutons-le ! Écoutons les scientifiques! Écoutons et imitons le Vivant qui a toujours su s’adapter pour survivre. Coopérons avec lui. Il y a infiniment plus de symbioses, de commensalisme, de coopération dans le vivant que de compétition. Sans quoi c’est l’humanité toute entière qui va s’effondrer. Et personne ne viendra nous sauver. »

Propos recueillis
par Alexandrine Civard-Racinais

A visionner

A lire :

  • Au nom du Vivant. Plaidoyer pour réconcilier l’homme et la nature, de Robert Barbault (Buchet-Chastel, 2014).

A écouter : 

  • Pour que nature vive. Le podcast du MNHN « pour comprendre le Vivant, et notre planète ».

Avec le soutien du ministère de la Culture

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