Elles déchaînent les passions et sont sources de polémiques et d’affrontements. Elles, ce sont les bassines, qualifiées le plus souvent de « méga-bassines ». En dehors de toute bataille idéologique penchons-nous sur ces méga-bassines. Qu’appelons-nous bassines, à quoi servent-elles, quelles solutions proposent-elles ? Curieux décrypte

Une centaine de projets de méga-bassines, également appelées « réserves ou retenues d’eau de substitution » sont en cours, essentiellement dans l’ouest de la France. Dans le seul département des Deux-Sèvres, la Coop de l’eau est porteuse d’un projet de seize bassines, dont celle de Sainte-Soline, devenue l’épicentre de la contestation contre ce type de projets. L’une de ces bassines est en fonctionnement depuis début 2022, sur la commune de Mauzé-sur-le-Mignon.

1- Vous avez dit bassine ?

Chacun de nous peut se faire une idée de ce à quoi ressemble une bassine en ouvrant la porte de son placard. Au sens strict, une bassine est un « ustensile de cuisine (…) destiné à contenir un liquide ». Sa version « méga » s’étend sur une superficie moyenne de 8 hectares, soit 11 terrains de football, et peut couvrir jusqu’à 18 hectares. 

« Il s’agit d’un ouvrage artificiel, en règle générale construit en plaine, destiné à stocker l’eau prélevée l’hiver pour irriguer les cultures en période de sécheresse » indique le site gouvernemental vie publique. Un ouvrage, plastifié et imperméable, entouré de digues de plusieurs mètres de haut qui lui donnent cette allure de bassine géante. 

2- Vous avez dit substitution ?

A la différence des retenues d’eau collinaires (réserves alimentées par le ruissellement), ces bassines ne sont pas destinées à collecter l’eau de pluie. « L’eau de ces bassins est puisée dans les nappes phréatiques ou les cours d’eau entre novembre et mars pour remplacer les prélèvements l’été : c’est le principe de substitution », peut-on lire sur vie publique. L’idée étant de pomper l’eau des nappes l’hiver lorsqu’elle est abondante, pour la redistribuer plus tard lorsque les  précipitations se font rare. Sur le papier l’idée est séduisante, mais cela est très contesté.

D’abord, parce que la recharge hivernale des nappes est tout sauf une évidence en ces temps de réchauffement climatique. L’hiver 2022-2023 a d’ailleurs été particulièrement doux et sec : « Cet hiver est, en France, la cinquième saison consécutive marquée par un déficit de précipitations et des températures plus élevées que la normale », a noté Météo France dans son bilan climatique.

3- Vous avez dit solution ?

Présentées comme une solution pour les agriculteurs confrontés au manque d’eau, les méga-bassines pourraient au contraire aggraver la fréquence et la gravité des sécheresses dans les régions concernées. C’est la conclusion d’une étude espagnole publiée en 2017 dans le Journal of Hydrology. Un constat partagé par Florence Habets, directrice de recherche au CNRS en hydrométéorologie qui souligne que le stockage de l’eau (induit) un cercle vicieux dans Le Journal du CNRS.

Et ce, sans compter les impacts cumulés des retenues d’eau sur les milieux aquatiques et leur riche biodiversité, encore mal connus comme le précise un rapport de l’Inrae et de l’AFB (Agence française pour la biodiversité).

« Les mégabassines sont une mal-adaptation aux sécheresses présentes et à venir », estiment de leur côté des scientifiques dans une tribune publiée par le journal Le Monde (en version longue sur Médiapart). Cette tribune a reçu le soutien de nombreux hydrologues, hydroclimatologues, hydrogéologues, etc. qui rappellent l’urgence d’une transformation de notre modèle agro-économique et l’adoption de pratiques plus sobres en eau et respectueuses des éco-systèmes.

Alexandrine Civard-Racinais

Chiffres & données clés

  • Le recours à l’irrigation ne concerne pas toutes les surfaces agricoles : 5 % de la surface agricole utile (SAU), soit 1,5 million d’hectares, est aujourd’hui irriguée, avec de grandes disparités départementales. L’irrigation représente ainsi plus de 15 % des surfaces dans le Sud, l’Ouest, l’Alsace et la Beauce, alors qu’elle ne concerne que 1 % des surfaces dans l’Est et le Nord. Par ailleurs, 60 % des surfaces irriguées concernent des productions de maïs. (source : L’avenir de l’eau, Rapport du Sénat n°142, 24 novembre 2022, page 20).
  • L’agriculture est la première activité consommatrice d’eau avec 57 % du total (source : L’eau en France : ressource et utilisation. Synthèse des connaissances 2021). 
  • La consommation d’eau pour les besoins de l’irrigation agricole est concentrée durant les mois d’été, période pendant laquelle la tension sur la ressource est maximale et où le secteur agricole peut représenter jusqu’à 80 % de la consommation totale d’eau.
  •  Les opposants aux retenues contestent l’utilité de dépenses publiques importantes pour mettre en place des infrastructures qui ne bénéficient qu’à quelques agriculteurs utilisateurs de l’eau, ce qui constitue à leurs yeux une atteinte inacceptable au caractère de bien public attribué à l’eau.(source : L’avenir de l’eau, Rapport du Sénat n°142, 24 novembre 2022, page 93).

A écouter pour prolonger cet article

https://www.sismique.fr/post/79-les-crises-de-l-eau-emma-haziza

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