Insecticide employé aux Antilles jusqu’en 1993, le chlordécone continue de contaminer les populations et de leur nuire. Une équipe internationale montre qu’une exposition prénatale et postnatale à ce pesticide diminue les capacités cognitives et augmente les troubles comportementaux chez des enfants âgés de 7 ans

Utilisé dans les bananeraies pour lutter contre le charançon, le chlordécone a été autorisé en Martinique et en Guadeloupe de 1973 à 1993. Il a provoqué une pollution importante et durable des milieux naturels des deux îles et contaminé plus de 90 % de la population adulte insulaire selon Santé publique France.

En plus d’être cancérogène, il est aujourd’hui aussi considéré comme perturbateur endocrinien, neurotoxique, toxique pour la reproduction et le développement. Son impact sur le neurodéveloppement avait déjà été constaté lors du suivi des enfants aux âges de 7 et 18 mois de la cohorte mère-enfant Timoun en Guadeloupe. Une nouvelle étude internationale impliquant des chercheur.ses Inserm de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (IRSET) à Rennes, s’est intéressée à l’impact de l’exposition prénatale et postnatale au chlordécone sur les capacités cognitives et comportementales de 576 enfants à l’âge de 7 ans provenant de la même cohorte.

Les capacités intellectuelles d’enfants de 7 ans mesurées

Afin d’évaluer les niveaux d’exposition prénataux et postnataux des enfants au chlordécone, la concentration du pesticide a été mesurée dans le sang du cordon ombilical à la naissance et dans le sang des enfants à l’âge de 7 ans.

Les scientifiques ont estimé les capacités intellectuelles de ces derniers à l’aide de tests neuro-comportementaux validés permettant de mesurer 4 indices : compréhension verbale, vitesse de traitement de l’information, mémoire de travail (forme de mémoire à court terme visant à utiliser l’information obtenue sur l’instant dans l’accomplissement d’une tâche précise) et raisonnement perceptif (capacité cognitive à intégrer et à manipuler des informations visuelles et spatiales afin de résoudre des problèmes visuels complexes).

Les mères ont également rempli un questionnaire évaluant chez l’enfant la présence de difficultés comportementales « internalisées » (symptômes émotionnels et problèmes relationnels avec les pairs) et de celles « externalisées » (qui se traduisent par des problèmes de comportement social telles la colère ou une réticence à l’autorité, par une hyperactivité ou de l’inattention).

Troubles du comportement et diminution des capacités cérébrales

Publiés dans la revue scientifique Environnemental Health, les résultats montrent que l’exposition prénatale au chlordécone est associée, pour chaque doublement d’exposition, à une augmentation de 3 % du score estimant les difficultés comportementales « internalisées » à l’âge de 7 ans, avec une association plus forte chez les filles (+ 7 %) que chez les garçons (0 %). Mais aussi que l’exposition postnatale au chlordécone est, quant à elle, associée à de moins bons scores estimant les capacités intellectuelles générales (diminution de 0,64 point de QI pour un doublement du niveau d’exposition). Cela se traduit, en particulier chez les garçons, par une diminution du raisonnement perceptif, de la mémoire de travail et de la compréhension verbale. En outre, l’exposition postnatale était associée à un plus grand nombre de difficultés de comportements « externalisées », autant chez les garçons que chez les filles.

« Ces résultats indiquent que l’exposition au chlordécone pendant les périodes de développement in utero ou au cours de l’enfance est associée à une diminution des capacités intellectuelles et à une augmentation des difficultés comportementales, avec des effets parfois différents en nature et en intensité selon le sexe. Cela n’est pas surprenant car ce pesticide se fixe aux récepteurs aux œstrogènes, hormones qui jouent un rôle crucial mais de manière différenciée en fonction du sexe, dans le développement du cerveau », explique Luc Multigner, directeur de recherche Inserm qui a participé aux travaux.

Réduire l’exposition au chlordécone

L’équipe de recherche recommande de poursuivre les politiques publiques destinées à réduire l’exposition au chlordécone, notamment parmi les populations les plus sensibles, telles que les femmes enceintes et les enfants. Elle invite également à surveiller la prévalence et la prise en charge des enfants présentant un retard psychomoteur, des troubles sensoriels, neuromoteurs ou intellectuels et/ou des difficultés relationnelles.

Sylvaine Cordier, directrice de recherche émérite à l’IRSET souligne : « Si les effets neurologiques ou neurocomportementaux constatés dans cette étude sont relativement modérés et subtils au niveau individuel, ils peuvent, compte tenu de l’exposition généralisée de la population antillaise au chlordécone, avoir un impact non négligeable au niveau de la population ».

Les études se poursuivent avec le suivi des enfants de la cohorte Timoun à l’âge de l’adolescence. D’autres portant sur la fertilité féminine et sur le cancer de la prostate sont en cours de mise en place en Guadeloupe.

Florence Heimburger

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