Des cas d’hystéries collectives comme les Sorcières de Salem pourraient être dues à une simple intoxication alimentaire. Deux chercheuses INRAE, Florence Forget et Isabelle Oswald dévoilent les méfaits des alcaloïdes sécrétés par un champignon parasite des céréales

Salem, un bourg au Nord-Est de Boston aux États Unis, est le théâtre d’une chasse aux sorcières en 1692. Trois jeunes filles prises de convulsions et tenant des propos incohérents sont accusées de démence. Le coupable est vite identifié : le diable s’exprimerait par la bouche de ces « sorcières ». Les dénonciations s’enchainent. L’hystérie devient virale. Plusieurs centaines de personnes sont accusées, une vingtaine est condamnée à mort.

En 1976, une scientifique américaine, Linnda R. Caporael, avance l’hypothèse d’une contamination par l’ergot du seigle. L’intuition lui vient après « l’Affaire du pain maudit », survenue en France, dans les années 1950 à Pont-Saint-Esprit. Pas moins de 250 personnes sont intoxiquées par les farines boulangères contaminées par ce champignon. Les comportements agressifs et psychotiques, et les hallucinations rappellent ceux de Salem.
Florence Forget, spécialiste INRAE en mycologie et sécurité des aliments et Isabelle Oswald, experte INRAE en toxicologie des aliments, nous expliquent le mode de contamination de ce champignon et les effets des toxines qu’il sécrète.

Claviceps purpurea, un champignon complètement dément !

« Claviceps purpurea parasite les céréales et plus particulièrement le seigle. Au moment de la floraison de la céréale, le champignon entre dans la plante par ses anthères. Il se développe sous forme d’un sclérote noir qui prend la place du grain sur l’épi. Notre laboratoire s’intéresse aux mécanismes de production des mycotoxines dont celles de l’ergot. La connaissance de leurs voies de synthèse permettra de trouver des solutions pour éviter leur accumulation dans les récoltes », explique Florence Forget.

Des alcaloïdes proches du LSD

Petit mais costaud ! Ce champignon produit des toxines, des alcaloïdes connus pour leurs propriétés psychédéliques depuis longtemps. Parmi elles, se démarquent notamment des molécules proches du diéthylamide de l’acide lysergique, qui a donné naissance au LSD. Synthétisée par l’homme depuis les années 40 pour soulager des migraines, faciliter l’accouchement ou l’approche psychothérapeutique, la molécule connait ses heures de gloire pour son usage « récréatif » pendant les années hippies. Voyage garanti, mais à quel prix… Les scientifiques montrent quelques années plus tard que la molécule se lie aux récepteurs des neurones qui en régule l’activité. En 1971, l’ONU la classe officiellement dans la catégorie des stupéfiants.

Une surveillance accrue

D’après Isabelle Oswald, «Le feu de Saint-Antoine » ou le « mal des Ardents » que Bruegel l’Ancien dépeint sur ses toiles, est une des deux formes de l’ergotisme qui s’exprimerait à de fortes doses. La deuxième, la gangrène, serait liée aux propriétés vasoconstrictrices des mycotoxines et se manifesterait à faible dose et sur une longue période d’exposition. Pour une meilleure surveillance, la règlementation évolue et passe aujourd’hui par une analyse en spectrométrie de masse des douze principales toxines ».

Propos recueillis
par Sophie Germette-Nicaud

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