On va décevoir tout de suite les amateurs de sensations fortes et de Leonardo DiCaprio, qui ne sont pas forcément les mêmes : le pont de pierre n’est pas le « Titanic »,
il ne va pas s’enfoncer comme ça d’un coup, même si Céline Dion vient y chanter en guise de catastrophe.

Pourtant, il pèse son poids, le bougre : 5 477 tonnes à l’étiage et 4 842 tonnes lors des plus hautes eaux. Mais d’où sortent ces quelque 600 tonnes de différence ? Tout simplement du fait que le pont « flotte ». Là non plus, on ne va pas s’emballer, on ne traversera pas l’Atlantique dessus. Mais, en fait, le pont ne repose pas sur le sol ou du moins pas sur la marne qui constitue le sous-sol rocheux. Les ponts plus récents, construits au XXe siècle, disposaient de matériel d’enfonçage suffisamment performant pour que les pieux en métal qui les soutiennent atteignent ce socle, mais pas le pont de pierre, achevé en 1822. Là, les pieux de bois reposent sur de la vase (plutôt rive gauche) ou des alluvions (plutôt rive droite). On en compte 250 par pile (16 piles pour le pont). Donc le pont bouge, et c’est tant mieux.
Mohamed Mariko et Bernard Vignaux, ingénieurs à Bordeaux Métropole chargés de surveiller l’ouvrage, insistent particulièrement là-dessus : pas question d’empêcher la bestiole de faire sa vie.

Travaux à venir

Construit en maçonnerie, il est tout à fait capable de supporter des mouvements limités, contrairement aux ponts plus récents, en béton, qui doivent rester plus rigides. Le souci pour l’instant, c’est qu’en 2001, à l’époque des travaux du tramway, les piles 1 à 6 (côté centre-ville) ont été renforcées par des micro-pieux qui complètent les pieux en bois. De ce fait, le pont se tasse moins de ce côté (moins de 1 demi-millimètre par an) que sur les 10 autres piles (environ 2 millimètres par an), faisant courir, à terme, le risque de cassures que sa souplesse lui permet de supporter actuellement. L’un des enjeux des travaux à venir sera d’égaliser les tassements tout au long de ses 480 mètres. Quoi qu’il en soit, rien d’étonnant à ces mouvements pas si intempestifs : quasiment tous les ponts de cette époque et de ce gabarit subissent ces contraintes, qui avaient été prévues par les ingénieurs de l’époque. Mais ce qu’ils n’avaient pas prévu, c’est la circulation automobile et, surtout, les extractions de granulats dans les lits des fleuves qui modifient leur courant. C’est ce qui avait provoqué l’effondrement, en 1978, du pont Wilson à Tours, surnommé « le pont de pierre », et présentant quasiment les mêmes caractéristiques que celui de Bordeaux. Un accident riche d’enseignements, et, depuis, on prend le plus grand soin de ces vénérables ouvrages qui doivent faire face à d’autres travaux. Bref, contrairement au petit pont de bois d’Yves Duteil, celui-ci ne tient pas par un grand mystère. Même si ses travaux le transformeront un temps en pont des soupirs pour les Bordelais.

Newsletter Curieux !
Recevez chaque semaine la newsletter qui démêle le vrai du faux et aiguise votre curiosité !