Face à l’accroissement de la précarité alimentaire, à la paupérisation des agriculteurs et à l’urgence climatique, plusieurs chercheurs et acteurs de terrain proposent de mettre en place une sécurité sociale de l’alimentation. Plusieurs territoires expérimentent déjà ce dispositif
Les Français mangent trop peu ou trop mal. En effet, selon un récent rapport du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), 16 % des Français disent ne pas manger à leur faim. Et 45 % déclarent ne pas avoir les moyens d’acheter les aliments qu’ils souhaiteraient.
Dans le même temps, près de 18 % des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté, selon une étude de l’Insee de 2021.
Une Sécu pour réduire la faim, améliorer l’alimentation et les revenus agricoles et limiter la pollution
Et si, pour résoudre ces maux, la solution tenait dans la mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation (SSA) ? C’est du moins ce que préconise le Conseil national de l’alimentation dans un avis d’octobre 2022.
Et, depuis quelques mois, des expérimentations s’inspirant de la SSA sont lancées partout en France. L’objectif ? « Répondre de manière systémique aux enjeux du système alimentaire en assurant l’accès à tous à une alimentation de qualité et choisie, en garantissant des revenus plus justes aux travailleurs et en créant des débouchés (AMAP1, magasins bio…). Tout en respectant l’environnement et le climat », résume Sarah Cohen, ingénieure-agronome à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), coordinatrice du projet de caisse citoyenne d’alimentation de Toulouse Caissalim et membre du collectif « Pour une Sécurité sociale de l’alimentation ».
Trois piliers : universalité, conventionnement démocratique et cotisation sociale
Sarah Cohen précise : « Cette sécurité sociale de l’alimentation repose sur trois principes. Le premier : l’universalité, c’est-à-dire rendre l’alimentation accessible à tous quels que soient le statut et le revenu. Le deuxième pilier est le conventionnement démocratique, c’est le fait que les citoyens puissent choisir de manière démocratique ce qu’ils veulent manger. Les habitants suivent une formation aux enjeux du système alimentaire afin de décider en connaissance de cause : ils apprennent à privilégier les circuits courts, le local, l’agriculture paysanne et bio… Le dernier pilier est la cotisation sociale : tout le monde cotise à la hauteur de ses moyens et reçoit le même budget. »
Plus d’une dizaine de caisses locales créées en France
Plusieurs collectivités et associations mènent actuellement des expérimentations en France : à Toulouse (Haute-Garonne), Montpellier (Hérault), Cadenet (Vaucluse), à Strasbourg (Bas-Rhin), dans la Drôme, en Gironde… D’autres comptent en lancer dans les mois à venir tels Tours, Grenoble et Paris. Pour l’heure, plus d’une dizaine de caisses locales indépendantes ont vu le jour en France.
Une expérimentation d’un an en Gironde, élargie si les résultats sont probants
En Gironde2, une expérimentation de sécurité sociale de l’alimentation a été co-construite par le collectif Acclimat’Action, le département de la Gironde et la ville de Bordeaux. Elle rassemble 400 personnes tirées au sort parmi des volontaires de quatre territoires : deux en milieu urbain (Bègles et Bordeaux) et deux en milieu rural (le Pays foyen et le Sud-Gironde). Celles-ci cotisent selon leurs moyens et reçoivent selon leurs besoins.
Elles percevront 150 Monnaies alimentaires ou « MonA » par foyer, auxquelles s’ajoutent 75 MonA par personne supplémentaire. Pour ce faire, quatre caisses locales de l’alimentation sont en cours de constitution. Les participants pourront s’approvisionner au sein de points de vente conventionnés, selon des critères définis démocratiquement : l’accessibilité et l’inclusivité, le bien-être au travail, la transparence et la juste rémunération des productrices et producteurs, la localité des produits, la durabilité des pratiques agricoles.
Durant l’année d’expérimentation, un groupe de chercheurs va suivre le projet pour en évaluer l’impact à la fois pour les participants mais aussi pour les points de vente. Si le bilan est positif, l’objectif est de poursuivre le dispositif et de l’élargir à de nouveaux territoires.
Florence Heimburger
1AMAP : association pour le maintien d’une agriculture paysanne
2Département de la Gironde, ville de Bordeaux, Bordeaux Métropole, Conseil régional Nouvelle-Aquitaine, DREETS, ville de Bègles…
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