Quoi de pire qu’une épidémie comme celle que nous traversons pour attiser les peurs et angoisses diverses, en premier lieu celles des maladies et de la mort, mais aussi celles de l’autre ? Très vite ressurgissent des angoisses ancestrales, qui ne peuvent être qu’exacerbées par les messages de prévention que l’on doit répéter continuellement aujourd’hui. Les « gestes barrières », en particulier, se traduisent par un éloignement physique des autres : distances de sécurité lors des rencontres, prohibition de tout contact physique, consignes de confinement voire de « quarantaine », etc.
Ces mesures sont évidemment essentielles, voire vitales pour les plus vulnérables d’entre nous. Elles risquent cependant aussi de mettre à mal la cohésion sociale, non seulement à l’échelon individuel, entraînant repli sur soi et suspicion, mais aussi à l’échelon collectif, en rompant les chaînes de solidarité et de fonctionnement sociétal.
Peur de l’autre, peur de l’étranger, voire stigmatisation et rejet… Parfois, ces effets secondaires de l’épidémie pourraient avoir un potentiel viral presque aussi puissant que la maladie elle-même. Comment préserver alors le lien social, aussi vital que la nourriture et l’air pour chacun d’entre nous et pour notre civilisation ?
Des traumatismes qui ont laissé des traces
Les traumatismes collectifs provoqués par les épidémies passées, qui ont décimé des populations entières à toutes les étapes de notre évolution, ont inscrit dans notre patrimoine partagé à la fois de profondes angoisses et des comportements essentiels, qui ont permis de survivre à ces catastrophes.
Des réflexes très élémentaires ont ainsi été transmis par la génétique au fil des générations : dégoût face à la saleté, méfiance face à des aliments paraissant dangereux, habitudes souvent automatiques de lavage et de toilette même s’ils varient selon les personnes et sont également modelés par l’éducation.
En plus de ces moyens de protection programmés et partiellement efficaces contre les risques de contamination, la répétition des pandémies graves comme celles de la peste, de la tuberculose et plus proches de nous de la grippe espagnole voire du SIDA, a pu générer une peur collective du contact avec d’autres personnes susceptibles de transmettre un agent infectieux.
Bien sûr le pire n’est jamais sûr, et les attitudes de bienveillance et les comportements d’entre-aide sont également des tendances fortes de notre patrimoine commun, qui ne manquent pas déjà de se manifester. Mais il ne sera pas facile, surtout si la crise s’intensifie et se prolonge, de contrecarrer la propension à l’individualisme voire à la méfiance induite par les consignes publiques d’éloignement des autres. La parole aura un rôle important à jouer pour y remédier.
Miser sur le langage
Comme toujours en psychologie humaine, le support essentiel de toute relation est le langage. Il devient, dans cette situation, encore plus crucial. En l’absence d’autres moyens de témoigner son attention ou son affection à l’autre, les mots peuvent se substituer en grande en partie aux signes physiques de politesse ou de fraternité.
Dire son plaisir d’une rencontre, ou témoigner à ses « proches » (même loin physiquement…) que l’on pense à eux et même que l’on se préoccupe d’eux, permet de maintenir ces liens tellement importants dans nos vies sociales, familiales et affectives. Cela peut paraître trivial quand il s’agit d’échanger quelques paroles pour saluer un ami ou un collègue sans pouvoir lui serrer la main ou l’embrasser, mais ce sont des comportements sociaux inhabituels et même parfois assez coûteux pour certains d’entre nous.
De même, téléphoner régulièrement aux personnes que l’on ne va pas pouvoir voir pendant plusieurs semaines à cause des précautions tenant à l’âge ou à la vulnérabilité va créer des attitudes et des besoins nouveaux. Heureusement, les technologies numériques associant la vidéo à la parole ou permettant plus simplement d’écrire et d’envoyer des images aboutissent à une grande variété de canaux de communication et vont donc faciliter ce rapprochement virtuel.
Les échanges verbaux amènent non seulement du réconfort et de la solidarité, mais autorisent également le recours à de nombreuses stratégies de résistance voire de résilience face à l’adversité : échanges d’informations permettant de mieux comprendre la réalité et d’éviter la circulation de fausses nouvelles, partages d’idées et de conseils, regards décalés et humoristiques sur les faits, même quand ils sont douloureux, etc.
Les êtres humains et notre civilisation ont survécu à bien d’autres crises et à bien d’autres épidémies. L’essentiel est de garder à l’esprit que le bien le plus précieux de notre société est la capacité à nous protéger collectivement les uns les autres. Pour cela, la communication verbale, renforcée par tous les supports qui nous sont donnés aujourd’hui, demeurera le meilleur vecteur de la solidarité et de la fraternité. Une seule prescription donc pour les semaines à venir : parlons-nous !
Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie, Inserm, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Image par Foundry Co de Pixabay
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.