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Il n’y a qu’à regarder par la fenêtre, dans la presse ou sur les réseaux sociaux : on n’a jamais vu autant de personnes pratiquer du sport que depuis que le confinement a été imposé. Entre la famille voisine qui sort deux fois par jour pour une balade poussette-roller-trottinette dans le quartier, le voisin féru de vélo qui passe son temps sur sa monture dès l’apparition des premiers rayons de soleil, le jeune couple qui se découvre soudainement une passion pour la course à pied, ou encore la voisine qui suit sur son grand écran, musique à bloc, le dernier cours virtuel de body training animé par son coach préféré, les exemples ne manquent pas.

Confinés chez nous, les réseaux sociaux font inévitablement davantage partie de nos passe-temps favoris qu’à l’accoutumée. Chacun s’en donne à cœur joie : entre les « Covid-19 challenges » qui inondent nos fils d’actualité d’exploits physiques… et de papier-toilette, les parents qui partagent fièrement leurs incroyables parcours de motricité confectionnés avec amour pour leurs bambins, les selfies en plein effort « #fightcovid19 », il y a vraiment de quoi culpabiliser à rester calmement chez soi à attendre que la crise passe…

Mais est-ce que tout cela ne serait pas que le fruit d’un concours de circonstances exceptionnel ? Ne nous voilons pas la face en observant la rutilante et illusoire partie émergée de l’iceberg ?

Théorie de la motivation

Cette expérience unique, in vivo et sans essais cliniques préalables, met à rude épreuve nos habitudes au point d’altérer fortement notre quête du graal à tous : vivre heureux, en embrassant pleinement nos besoins psychologiques fondamentaux. Pourquoi parler de ces besoins ? Car ce sont ces derniers qui nous poussent à l’action, et en parlant de sport, qui vont nous motiver à enfiler nos baskets ou alors à rester confortablement dans notre canapé.

Il n’existe bien sûr par qu’une seule théorie de la motivation. Tentons d’expliquer ce qui se passe pendant cette crise au travers d’une d’entre elles, la théorie de l’autodétermination. Au cours de notre existence, et ceci est vrai dans le domaine du sport, nous sommes poussés à l’action par trois grands besoins psychologiques qui vont contribuer à notre bien-être :

  • Le besoin d’autonomie : c’est le besoin de se sentir à l’origine ou à la source de ses actions. En période de confinement, en voilà déjà un qui est mis à mal ! Plus question de faire ce qu’on veut. Que fait maintenant le footballeur qui avait l’habitude d’aller jouer avec ses amis sur le terrain voisin ? Que fait la grand-mère dont la routine du dimanche était d’aller nager ses 25 longueurs à la piscine publique ? Que fait l’adepte d’équitation privé de ses sorties ? Ce recul de notre niveau d’autonomie pourrait-il être à la base des comportements observés qui frôlent voire dépassent les restrictions imposées par nos autorités ? Une frustration de ce besoin peut sans aucun doute mener à une recherche de liberté qui n’avait jamais été explorée auparavant.
  • Le besoin de compétence : il traduit notre désir de se sentir efficace, utile par rapport à notre environnement. Un artisan dont le savoir-faire est reconnu de tous, un enseignant qui transmet son savoir à ses élèves, un retraité qui partage son expérience bénévolement dans une association, un jeune sportif qui montre fièrement à ses parents le geste technique qu’il vient d’apprendre dans son club. De nouveau, satisfaire ce besoin universel implique une adaptation temporaire de nos comportements, dans la limite de ce qui est autorisé. Le parcours de motricité « maison » permet à l’enfant d’exprimer sa compétence à ses parents, à défaut des habituelles gratifications de l’enseignant ou de l’entraîneur. Les 20 minutes de course à pied sans s’arrêter ou la séquence d’abdos-fessiers réalisés dans leur intégralité peuvent aussi nous apporter cette source de satisfaction personnelle, d’autant plus si un certain nombre de pouces levés valorisent virtuellement notre action.
  • Le besoin d’appartenance sociale : Chacun aspire à être affilié à un réseau, plus ou moins étendu, de personnes importantes à ses yeux. Ce besoin de se sentir connecté et supporté par d’autres personnes, nous l’avons chacun comblé à notre manière. La famille, les amis, les collègues ; tout un maillage distendu par un éloignement physique sans précédent. C’est sans doute dans la poursuite de ce besoin que nous partageons plus que de raison la moindre de nos activités sur les réseaux sociaux ; du moins les activités que l’on va juger socialement acceptables et valorisantes. Le selfie course à pied/vélo ou la vidéo du « Covid-19-challenge » en mode jonglage ou gainage avec du papier toilette en font partie. Mais étant donné que l’on ne partage que ce que l’on veut bien partager, qu’en est-il du reste ? Avouez que le selfie assis dans son canapé circule beaucoup moins sur les réseaux… On aborde ici un des nœuds du problème.

Si ceux qui se mettent en mouvement régulièrement étaient, à l’image de la partie émergée de l’iceberg, sous un miroir grossissant ? Qu’en est-il des autres ? De tous ceux qui, volontairement ou non, ne sont plus en mesure de se mettre suffisamment en mouvement ?

Inégalités face à l’activité physique

Nous ne sommes pas tous égaux face au sport et à l’activité physique. La situation actuelle pourrait avoir tendance à accentuer ces inégalités. Les parents confinés à temps plein dans un appartement avec leurs enfants, les indépendants qui doivent dans l’urgence se renouveler pour espérer faire persister leur activité, le personnel hospitalier qui se donne corps et âme pour sauver la vie des autres, ou enfin tous ceux qui n’ont pas encore ancré la pratique d’activité physique dans leurs habitudes et qui ont besoin d’un soutien extérieur pour persévérer : nous vivrons tous un avant et un après Covid-19.

Il est légitime que nos yeux soient prioritairement tournés vers des besoins de sécurité, comme l’explique Maslow dans sa célèbre pyramide des besoins. Durant et après cette crise sanitaire (nous l’espérons au plus vite), l’activité physique devrait toutefois, dans la mesure du possible et avec toutes les précautions nécessaires, faire partie de notre quotidien.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le manque d’activité physique est considéré comme le quatrième facteur de risque de décès dans le monde et est considéré comme un des principaux facteurs de risque de maladies cardio-vasculaires ou de cancers, occupant les deux premières places de ce funeste podium. Avant confinement, p rès d’un individu sur trois dans le monde n’était pas suffisamment actif que pour se maintenir en bonne santé.

Alors oui ce constat n’est pas forcément visible à l’œil nu. D’autant plus que le Covid-19 a attendu le retour des beaux jours pour frapper à la porte de nos contrées ; car comme pour la saison des barbecues, il est clairement établi que nous bougeons plus au printemps ou en été qu’en hiver.

Préserver son capital mouvement

Préserver son capital mouvement pendant le confinement, c’est donc en quelque sorte préserver son capital santé et son capital immunitaire, si précieux à l’heure actuelle. L’OMS adresse d’ailleurs officiellement, au-delà des recommandations officielles, certains conseils pratiques (même en situation de quarantaine) pour nous aider à rester actifs en confinement. Les exemples d’activités ne manquent pas, l’essentiel étant de les choisir en fonction de vos goûts et motivations tout en respectant les recommandations des experts.

Pour conclure, revenons à notre iceberg… d’activité physique. Même si cela n’est pas visible par tous, sa fonte est belle et bien réelle durant cette période de confinement. Ne nous attachons peut-être pas autant à sa partie émergée, augmentée par le miroir grossissant des réseaux sociaux et de notre observation accrue du « visible ». Prêtons plutôt attention à sa portion immergée, beaucoup plus vaste et silencieuse, représentée par tous ceux qui ont mis de côté le mouvement de leur vie quotidienne.

Chaque minute en mouvement est une minute de lutte contre la sédentarité. Prendre les escaliers, se lever régulièrement de son canapé, passer un appel en marchant plutôt qu’assis, relever le défi qui vous motive, jardiner, bricoler, danser : ces gestes simples sont une première étape vers un corps en mouvement. Les premières minutes sont celles qui apportent le plus de bénéfices en matière de santé. Chacun peut donc, au regard de ses possibilités, besoins et motivations, intégrer un minimum d’activité physique dans sa vie quotidienne. C’est dans cette conscience de l’importance du mouvement que l’ensemble de l’iceberg pourra se déplacer sereinement et solidairement vers sa prochaine destination.The Conversation

Alexandre Mouton, Chargé de cours en Sciences de la Motricité, Université de Liège

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Image par Daniel Reche de Pixabay

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