laboratoire

L’origine exacte du nouveau coronavirus reste en suspens. Le manque de transparence de la Chine sur l’épidémie alimente toutes les hypothèses, y compris celles d’un virus façonné par l’homme ou sorti d’un laboratoire. Plausibles ou non ? Curieux a mené l’enquête.

 

Et si le coronavirus SARS-CoV-2, qui a déjà provoqué plus de 130 000 morts dans le monde, avait pour origine le laboratoire de type P4 (très haute sécurité biologique) de l’Institut de virologie de Wuhan (Chine), ville épicentre de la pandémie ? C’est l’une des théories qui affolent les réseaux sociaux, médias et sphères diplomatiques. Les Etats-Unis lancent même une enquête exhaustive sur la façon dont s’est propagé le virus. « Il y a manifestement des choses qui se sont passées qu’on ne sait pas. Il appartient à la Chine de les dire » a quant à lui déclaré le président Emmanuel Macron.

Ce lieu hautement sécurisé où sont manipulés des virus dangereux (notamment des coronavirus de chauves-souris) aurait eu des failles dans son dispositif de sécurité par deux fois au cours de l’année 2018, selon les révélations d’un article publié le 14 avril 2020 dans le Washington Post.

L’hypothèse d’une origine synthétique

Pour le professeur Luc Montagnier, colauréat (controversé) avec la Pr Françoise Barré-Sinoussi du prix Nobel de médecine en 2008 pour la co-découverte du VIH, cela ne ferait pas de doute : le SARS-CoV-2 serait un virus manipulé avec de l’ADN de VIH. Pour étayer sa thèse (qualifiée par certains de « complotiste »), le scientifique français désormais retraité s’appuie, entre autres, sur des travaux du mathématicien (de l’Université de Bordeaux ) Jean-Claude Perez qui aurait fouillé dans les moindres détails la séquence du nouveau coronavirus.

Le Pr Montagnier le clame aussi : la création se serait faite au sein du laboratoire chinois actuellement sous les feux des projecteurs. Des propos qui interpellent la communauté scientifique, y compris ceux qui pensent possible l’hypothèse d’une fuite d’un virus du laboratoire de Wuhan.

« Il faut rester très prudent, pour l’instant il n’y a pas de preuves, souligne le professeur émérite Hervé Fleury, virologue co-fondateur du laboratoire de virologie du CHU de Bordeaux. Toutefois, l’émergence du SARS-CoV-2 suite à un accident de laboratoire est tout à fait possible. Dans un P4, la sécurité n’est jamais à 100 % : un biologiste peut renverser un flacon puis inhaler l’aérosol contenant le virus, malgré les hottes aspirantes, et s’infecter, un vêtement contaminé sortir du labo, une chauve-souris porteuse du virus s’échapper (moins probable)… De tels accidents de contamination sont rares mais ils se sont déjà produits, notamment avec le SRAS (SARS-CoV en 2002-2003), comme cela l’a été publié dans la revue scientifique Science. »

Des travaux de laboratoire dangereux en Chine et aux Etats-Unis

Par ailleurs, en étudiant scrupuleusement la littérature sur les coronavirus des chauves-souris, le Pr Fleury a noté différents faits troublants : « Parmi les premiers à publier les séquences du virus Covid-19 figurent Zhou et coll (Nature 2020). Dans les signataires, le dernier et donc le responsable de la recherche est le Dr Zheng-Li Shi. Ce même chercheur avait co-signé en dernier auteur une importante publication en 2013 (Ge et coll, Nature 2013) identifiant chez une chauve-souris des coronavirus très proches du SARS-CoV (à l’origine de l’épidémie de 2002-2003) mais possédant une protéine de surface permettant une fixation optimisée sur les cellules respiratoires humaines. Ces virus partagent d’ailleurs 96,2 % de leur génome avec le SARS-CoV-2, à l’origine de l’épidémie actuelle. Plusieurs mises en garde ont été publiées depuis. »

En 2015, une équipe du laboratoire de microbiologie de Chapel Hill (Caroline du Nord, aux Etats-Unis) dirigée par le Dr Baric publie dans la revue Nature Medicine une étude intitulée : « Un regroupement de coronavirus de chauves-souris SARS-like menace d’émerger chez l’Homme ». « Pour ces travaux, ils ont même fait du « bricolage » en construisant un virus recombinant (et donc beaucoup plus dangereux) entre un des virus de chauve-souris cité précédemment et le virus du SARS générant un recombinant appelé WIV1. A ma grande surprise, je retrouve, dans les signataires de l’article les Dr Ge et Shi au milieu des scientifiques américains », poursuit le Pr Fleury.

« Un an plus tard, en 2016, la même équipe américaine lance une nouvelle alerte et affirme dans la revue PNAS que le fameux virus WIV1 a la capacité d’infecter directement les humains et de se propager par transmission interhumaine. L’étude est d’ailleurs titrée « Le virus WIV1-CoV semblable au SRAS prêt à émerger chez l’Homme ». Les scientifiques semblent s’inquiéter de leurs propres travaux ! »

Une contamination accidentelle ?

« Ces publications signifient que les deux équipes chinoise et américaine collaboraient étroitement sur les virus des chauve-souris et disposaient très probablement toutes les deux des virus des études y compris des « chimères/mutants » (recombinants) et pour le moins des virus des chauves-souris adaptés à l’homme. »

« Rien ne peut exclure un accident à partir du laboratoire de Wuhan, tout comme il aurait pu aussi avoir lieu à Chapel Hill », pense le Pr Fleury. C’est une hypothèse qui devient de plus en plus sérieuse. Ce n’est pas de la folie. » Avant d’ajouter : « Cela ne résout pas le problème. Mais il va falloir mener une enquête internationale ».

Sur la base des taux d’incidents constatés dans les laboratoires, le risque d’un départ épidémique déclenché par une évasion accidentelle ou malveillante de microbes depuis des installations de haute sécurité a été estimé en 2019 à environ 0,03 % par an et par laboratoire. Un fait rare donc mais pas impossible.

Le virologue bordelais a envoyé un texte faisant part de ses interrogations à une revue scientifique internationale. L’article est en attente de validation.

Pour d’autres scientifiques, en revanche, comme Etienne Simon-Loriere, chercheur à l’Institut Pasteur, cité dans Le Monde aujourd’hui, le génome du nouveau coronavirus « ressemble beaucoup trop à quelque chose de naturel pour qu’il y ait un doute que ce soit quelque chose d’artificiel ». Il ajoute : « Il paraît peu plausible que des scientifiques aient pu créer un virus qui interagisse aussi bien avec le récepteur ACE2, alors que ce mécanisme n’avait jamais été observé avant ».

Le sujet semble en tout cas aussi épineux que le virus.

Florence Heimburger

 

 

Image par Bokskapet de Pixabay

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