pénurie de médicaments

Les politiques de délocalisations ont conduit la France dans une situation de pénurie, y compris de médicaments. Alors que certains s’en étonnent, d’autres comme David Simonnet, l’ont anticipé et en ont profité pour développer des stratégies alternatives et un modèle managérial plus responsable qui pourrait désormais faire des émules.


PDG du groupe Axyntis, une ETI française du secteur de la chimie, David Simonnet défend un modèle alternatif qui prend le contrepied ses principaux dogmes à la mode dans cette industrie. Répondant en 2017 à l’invitation de l’École de Paris du management qui l’avait convié à venir débattre de sa démarche entrepreneuriale, il expliquait alors :

David Simmonet. Axyntis

« Chaque année des dizaines de médicaments connaissent des ruptures d’approvisionnement. Pour des molécules complexes, utilisées notamment en milieu hospitalier, cela peut conduire à des situations dramatiques. Sachant que 80 % des médicaments vendus en Europe contiennent des principes actifs importés d’Inde ou de Chine, cela pose la question de la souveraineté nationale en termes d’accès aux médicaments. Lors de la crise de la grippe aviaire, le gouvernement a souhaité disposer de grandes quantités de Tamiflu. Découvrant qu’il n’existait pas de capacités industrielles en France, il n’a pas eu d’autre solution que de négocier avec le groupe suisse Roche. »

La pénurie actuelle n’est donc pas une surprise puisque David Simonnet a pu la théoriser et saisir ce désengagement généralisé des industriels comme une opportunité stratégique : celle de reprendre des sites industriels et le personnel compétent laissés de côté pour constituer un groupe au modèle stratégique et managérial radicalement différent : ce sera le groupe Axyntis.

Un stratège et un financier créatif

Rien pourtant dans le pedigree de David Simonnet ne le prédestinait à diriger une ETI dans la chimie. Après un diplôme de l’Essec et un passage dans un cabinet de conseil en stratégie, il rejoint la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE) où il reste 10 ans. Il s’y prend de passion pour la chimie, secteur souvent mal considéré en France, mais dans lequel il voit de belles perspectives quand on sait saisir les opportunités. Il crée alors à 37 ans sa propre entreprise dans le secteur.

Financier créatif, il monte une opération originale d’acquisition par emprunt (LBO) en syndiquant sa dette auprès de plusieurs banques, puis convainc un fonds d’appuyer la démarche. Cela lui permet d’acheter cinq PME en 2007 pour créer le groupe Axyntis. Lors de la crise de 2008-2009, le carnet de commande s’effondre, et le groupe aurait été emporté s’il n’avait convaincu dès 2007 les fonds et les banques du bien-fondé d’une stratégie alternative à moyen terme.

Passé l’obstacle de la crise de 2008, le groupe reprend en effet la croissance grâce à une diversification vers des produits à plus haute valeur ajoutée, un développement international au Japon et aux États-Unis, ainsi que par une politique d’acquisitions d’entreprises facilitée par le désengagement massif des groupes chimiques et pharmaceutiques. Il rachète par exemple en 2016 l’activité chimie fine de 3M, ce qui permet doter son groupe de nouveaux moyens d’innovation.

Se positionnant sur des marchés de niche, avec cinq usines et quatre centres de R&D implantés dans cinq régions françaises – là encore une hérésie pour les tenants des effets d’échelle – le groupe passe rapidement de 50 à 90 millions d’euros et de 310 à 460 salariés. Le groupe exporte aujourd’hui plus de 70 % de sa production.

Soucieux de garder son autonomie stratégique, il met un terme au LBO en 2015 en faisant appel à un partenaire japonais, Fuji Silysia, groupe familial qui cherche à dupliquer ses activités dans une autre partie du monde afin de diversifier ses sources de production. Le montage est une fois encore original : chaque partenaire possède 50 % du capital.

Le pacte d’actionnaire accorde à David Simonnet le contrôle sur les choix stratégiques et opérationnels du groupe. Il peut ainsi continuer dans une voie que le journal Chimie Pharma Hebdo présentait dès 2012 comme « témoignant de la résistance des entreprises de taille intermédiaire face à l’érosion de l’emploi industriel ».

La souveraineté nationale comme axe stratégique

Les groupes pharmaceutiques qui délocalisent leurs sites industriels ont découvert, mais un peu tard, la face cachée des délocalisations. Ils voulaient alléger la partie la plus capitalistique de leur bilan, externaliser le risque industriel, voire le risque social, et réduire les coûts d’achat. Ils ont constaté les difficultés les bénéfices moindres que prévus et les coûts cachés : délais de livraison, risque sur leur réputation en cas de rupture de fourniture, défaut de qualité, et perte de marge sur le produit fini.

Le groupe Axyntis a mis en place une veille sur les ruptures de médicaments et fabrique en France les matières actives à usage pharmaceutique en situation de pénurie. Lorsqu’un de ses clients souhaite relocaliser un produit, il privilégie les relations de long terme ce qui lui évite de ne servir que de « roue de secours » en phase de pénurie. La volonté de servir une cause n’exclut pas la prudence…

Pour David Simonnet les entreprises françaises et européennes ont une carte importante à jouer, d’autant qu’on assiste, en Chine et en Inde, à l’émergence d’une classe moyenne ayant les mêmes exigences que la population occidentale en termes de qualité des médicaments.

Un autre modèle managérial

L’implantation du groupe dans plusieurs territoires résulte d’une politique sociale ambitieuse. Pour David Simonnet, la stabilité des collaborateurs est indispensable dans une entreprise dont les usines exigent des savoir-faire et une expérience qui s’acquièrent dans la durée. La quasi-totalité des salariés d’Axyntis (97 %) bénéficient ainsi d’un CDI. Même s’il a dû adapter l’organisation d’un service ou d’une usine, il n’a jamais recouru à un plan de sauvegarde de l’emploi.

Chez Axyntis, presque tous les salariés sont en CDI. Axyntis

En prenant la tête du groupe, il constaté qu’il n’y avait pas une seule femme dans les fonctions de direction. Il a ainsi décidé d’aller vers la parité. Chaque année, il propose à au moins deux collaboratrices des formations en MBA à l’ESSEC, à HEC ou à Sciences Po. Comme le souligne David Simonnet :

« Cela représente un coût non négligeable, mais, d’une part, le résultat est extraordinaire en termes de management, et, d’autre part, c’était indispensable vis-à-vis de nos clients qui, comme L’Oréal, exigent la mise en œuvre de politiques RSE innovantes. »

Mais comment attirer dans des villes petites ou moyennes des talents courtisés par les entreprises ? À cette question, David Simonnet apporte plusieurs éléments de réponse :

« Quelqu’un qui se passionne pour la chimie sait qu’il ne pourra pas exercer son métier à Paris, ni même en Île-de-France. Il est donc préparé à une certaine mobilité, et les rémunérations du secteur de la chimie sont très attractives lorsqu’on s’installe dans une ville de taille moyenne. Et nous acceptons une part de plus en plus importante de télétravail. »

David Simonnet a été récemment interrogé par les médias sur la façon dont il a su développer des fabrications en France quand les chimistes désertaient notre territoire. Gageons que la crise du coronavirus va susciter un intérêt renouvelé pour ses choix stratégiques et la manière de les mettre en œuvre.

À moins que la crise économique n’engendre une guerre des prix et accentue encore davantage les différences entre les deux modèles…


Pour en savoir plus : Axyntis : bâtir un leader de la chimie fine en voyant loin. Retrouvez toutes les initiatives de la série « Le Jardin des entreprenants » en cliquant ici.The Conversation

Michel Berry, Fondateur de l’école de Paris du Management, Mines ParisTech et Christophe Deshayes, Chercheur en résidence, L’École de Paris du Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Image par Pexels de Pixabay

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