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Comment trouver la bonne distance entre confiance aveugle et doute illégitime ? Éléments de réponse avec Audrey Bedel, ingénieure d’études pour le projet de l’Agence nationale de la recherche (ANR) Éducation à l’esprit critique à l’École pratique des hautes études. 

« Dans le cadre de notre projet de recherche, nous avons commencé par définir ce qu’est l’esprit critique. Notre but était d’en avoir une acception “opérationnelle”, concrète. 

Nous avons donc estimé que l’esprit critique pouvait se définir comme la capacité à bien évaluer l’information, sa qualité épistémique, donc le degré de réalité auquel elle se raccroche, en fonction des preuves. 

Si l’on considère cette définition, alors douter de tout n’est pas une bonne chose. D’abord pour des questions pratiques, car si l’on n’est plus sûr de rien, on ignore comment agir et prendre des décisions. L’idée de Descartes, de douter puis reconstruire tous les savoirs, est intéressante dans l’absolu, mais inapplicable concrètement. Personne n’a le temps de faire cela, cela prendrait plusieurs vies. 

« Un juste équilibre »

Pour autant, il ne faut pas basculer dans l’effet inverse et ne plus douter de rien. Tout est dans l’équilibre entre le doute et la confiance. Dès lors, la question est simple : comment le trouve-t-on cet équilibre ? Nous avons travaillé sur des stratégies avec quatre axes. 

D’abord, on va établir des critères pour évaluer les arguments : est-ce logique ? Y a-t-il des contradictions ? Rencontre-t-on ce que l’on nomme des sophismes ou moisissures argumentatives, par exemple un appel à l’autorité ou à la nature pour justifier une opinion ? On est rapidement convaincus par des arguments émotionnels, puis on réfléchit et on s’aperçoit qu’ils ne sont pas toujours pertinents. On peut aussi évaluer leur plausibilité : si on nous dit qu’il y a une licorne dans le garage, le manque de crédibilité suffit pour ne pas y croire.

Ensuite on va évaluer les preuves : ont-elles été produites de façon à éviter biais et erreurs ? Sont-elles suffisantes ? Il nous arrive de tirer des conclusions peu parcimonieuses à partir de preuves assez faibles. Par exemple, quand on est convaincu par un ressenti qui va pourtant à l’encontre de décennies de recherches scientifiques sérieuses (pensons à Trump face au réchauffement climatique).

Troisième axe, on évalue les sources : on les identifie et on essaie de comprendre si elles sont vraiment bienveillantes, objectives et expertes, si elles ont bien une maitrise du sujet précisément en jeu. Un bon médecin n’est pas souvent un expert des épidémies et un Prix Nobel de chimie n’est pas forcément un expert du cancer, par exemple. 

Enfin il faut être capable de s’auto-évaluer : douter du fait que la Terre soit ronde, pourquoi pas ? Mais il faut savoir si l’on a soi-même les capacités et connaissances nécessaires pour remettre cela en cause. 

C’est l’ensemble de ce travail qu’il faut entreprendre si l’on veut trouver le juste équilibre entre douter de tout et ne douter de rien. »

Retrouvez toutes les interviews de notre série sur l’esprit critique : lire ici.

 

Propos recueillis par
Jean Berthelot de La Glétais

 

Avec le soutien du ministère de la Culture

 

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