Beautiful smiling couple cutting grapes at a vineyard. They are tasting black sweet grapes and having fun. Copy space.

Il faut vraiment être parisien comme Proust pour s’esbaudir pendant cinq pages sur une madeleine trempée dans du thé. Ici, on est des gens sérieux : c’est plutôt cèpes et confit de canard sur lesquels on laisse nos souvenirs baguenauder dans l’enfance. Parce que la mémoire du goût est éminemment culturelle, résistante et précoce

À vrai dire, elle débute dès notre deuxième mois de vie de fœtus. Les papilles gustatives se forment déjà et le fœtus peut ressentir les goûts les plus caractéristiques des aliments mangés par sa mère, qui passent par le liquide amniotique, et il s’en souvient après sa naissance. Dès lors commence notre histoire de goûts, qui tient à la manière dont on les perçoit (les fameux goûts et couleurs qui ne se discutent pas mais dont on parle abondamment).

Une notion culturelle

Le goût n’est pas un sens isolé : certes, les papilles gustatives disposées sur la langue permettent de faire un premier tri des principales informations de saveur, qui sont plus nombreuses que les quatre que l’on retient traditionnellement (sucré, salé, acide, amer). Mais il se mélange à l’olfaction, qui agrémente nettement tout ça avec ses quelque 10 000 nuances perçues.

La vue ne compte par pour du beurre (une fraise qui ressemblerait à un citron serait perçue comme plus acide qu’elle n’est), ni le toucher (sans l’aspect granuleux, on a du mal à la reconnaître dans la bouche). Ces informations se dirigent vers le thalamus, qui permet une analyse « objective » du goût, mais aussi vers le système limbique, où elles seront stockées, qui donne une connotation plus affective à ces perceptions, selon les conditions dans les- quelles elles sont enregistrées. C’est pour cela notamment que nous n’avons pas tous la même perception des goûts, l’émotionnel faussant l’objectivité sensorielle. Ce stockage d’informations est extrêmement pérenne et serait dû à la nécessité ancienne d’associer très rapidement et sur une longue durée une information gustative à un vécu pour, notamment, définir si un aliment est comestible ou s’il est dangereux.

Tout cela explique que le goût soit une notion culturelle importante : si l’on a grandi dans le Sud-Ouest, on est plus sensible au cocktail cèpes-confit qu’au combo maroilles-flamiche. La mondialisation de plus en plus importante des saveurs a ceci de paradoxal qu’elle nous ouvre à d’autres possibilités de goûts mais que, dans le même temps, elle l’atténue en multipliant les plats de moins en moins typés et caractéristiques. La madeleine trempée dans du thé risque de ressembler de plus en plus à un burger arrosé de Coca. Même d’un point de vue littéraire, ça le fait nettement moins.

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