Si la mixité scolaire représente un énorme progrès par rapport à une situation antérieure de ségrégation des sexes qui aboutissait à de plus grandes inégalités qu’aujourd’hui, son instauration n’a pas suffi seule à donner les mêmes chances aux filles et aux garçons. De nombreux travaux ont montré qu’il ne suffit pas de décréter la mixité (même si cela est nécessaire) pour que disparaisse la division sexuée des savoirs, des compétences et de l’orientation.

Bousculant les rapports sociaux de sexe, la mixité doit amener à construire un nouveau rapport de force entre les groupes en donnant une place à la coopération entre les filles et les garçons. De cette façon, une rupture avec la dissymétrie des statuts pourrait s’instaurer. Or, on constate aujourd’hui que la mixité scolaire conforte le concept social de domination masculine.

Les filles doivent être discrètes, ne parler qu’à bon escient, demander la parole sans chercher à briller aux dépens des autres ; alors que les garçons se mettent en avant, prennent la parole spontanément, cherchent à attirer l’attention et à « s’affirmer ».

Cela renvoie les filles à une contrainte de féminité qu’implique une position d’infériorité, tout comme les garçons sont renvoyés à une contrainte de virilité et à une position de supériorité et de dominance, pas toujours compatibles avec un rapport positif à l’école, d’où les échecs scolaires. On retrouve dans les travaux publiés, deux portraits stéréotypés des garçons et des filles largement influencés par la socialisation de la famille et par l’école.

Réinventer les dynamiques

« Il y a donc une illusion de croire que les femmes pourront changer leur condition sociale et professionnelle par un simple changement d’orientation scolaire », note Nicole Mosconi, professeure en sciences de l’éducation. C’est l’ensemble des rapports sociaux entre les sexes qu’il faudrait transformer, tant dans le domaine professionnel (avec une réelle mixité des emplois) que dans le domaine familial. On pourrait dire que la mixité socialise également les deux sexes à un égal apprentissage de leurs positions sociales inégales et à travers la transmission des savoirs, s’opère une socialisation différenciée.

Dans son dernier rapport 2022 portant sur les perceptions et vécus de l’égalité chez les jeunes générations, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes souligne une conscience plus aiguë des stéréotypes, des inégalités persistantes et confirme le fait que l’école renforce le plus les comportements sexués en favorisant l’internalisation des normes, à travers notamment les manuels scolaires et les supports pédagogiques qui échouent à fournir une représentation réaliste : seuls 9,8 % des textes présentés ont été rédigés par des femmes.

L’adoption d’un plan national d’orientation professionnelle s’avère nécessaire pour orienter les jeunes filles vers les métiers techniques, du numérique, et d’avenir. Face à ces inégalités, il en résulte que cette génération est en manque d’éducation à la vie relationnelle et se sent désarmée face à différentes violences sexistes et sexuelles. Comment faire ?

Plus nombreuses que les hommes dans l’enseignement supérieur, les femmes sont moins nombreuses à choisir les sciences.
Image by mohamed Hassan /Pixabay, CC BY

L’enjeu social de la mixité se trouve dans la capacité des institutions à se réinventer et dans la capacité des individus à porter un regard neuf. On pourrait inscrire la mixité dans un mouvement permanent et la qualifier de processus innovant dans la mesure où elle détruit les règles sociales de la domination masculine et amène l’école à développer la posture d’adulte émancipateur favorisant la promotion d’interactions sociales constructives, le respect et la considération de la parole de chacun.

En donnant une place à la coopération entre les femmes et les hommes, la mixité ouvre et enrichit les modes de sociabilité, elle défait les positions acquises pour donner un autre sens au monde. La mixité pourrait constituer un espace-temps particulier où peut se jouer, malgré l’asymétrie des statuts, une réciprocité formatrice entre les filles et les garçons. Pour cela, il nous faut mettre en place un travail pédagogique et réorganiser les espaces, notamment celui de la cour de récréation permettant de regarder de quelle façon la mixité peut encourager la création de ce nouvel espace social relationnel dans une dimension d’ouverture et de décloisonnement dans la relation entre les filles et les garçons.

Transformer les pratiques

La cour de récréation en tant qu’espace libre non régulé par les adultes (même s’ils le surveillent), pourrait constituer le lieu idéal pour apprendre à vivre ensemble de façon égalitaire. Mais dans les faits, c’est aussi le lieu où s’exerce la domination masculine. Les jeux bon enfant de maternelle, où fille et garçon s’amusent à se poursuivre, se muent souvent en primaire en jeux de domination physique. Embêter les filles, les bousculer « pour rire » se pratique depuis des décennies. Mais parfois, l’agression à connotation sexuelle n’est pas loin : jupes des filles soulevées, puis au collège, remarques désobligeantes à propos d’un tee-shirt trop court. Le manque de respect vis-à-vis des filles et de leur intimité devient une habitude ; y compris chez les lycéens.

Édith Maruéjoulos, géographe du genre, a observé que bien que la cour de récréation d’une école primaire soit mixte, les relations l’étaient peu. « En général, les garçons ont l’espace central avec le terrain de football, le terrain de basket, ou des jeux qui demandent de l’expression, c’est-à-dire de courir, de prendre de la place… et les filles, sans s’en rendre compte, vont se mettre sur les espaces qu’on leur laisse ».

La récré : mixité dans la cour de récréation (Le blob, l’extra-média, 2018).

Avoir moins de place pour jouer, ne pas pouvoir jouer à ce que l’on veut parce qu’on est une fille, ou un garçon pas assez conforme, c’est l’expérience de l’injustice et l’installation d’inégalités durables. Cette inégale répartition de l’espace crée des conflits entre les garçons eux-mêmes. C’est l’espace où il faut être alors quand vous ne pouvez pas y entrer… La cour de récréation est donc un espace hiérarchisé.

Les études de Marie Monnart ont montré ô combien il était important de prendre en compte la dimension géographique des placements et des stratégies de déplacement pour éclairer les implications sociales. Dans cet espace récréatif se joue une occupation hiérarchisée à partir de quelques places choisies. Comprendre le rôle joué par la ressource spatiale dans les processus d’intégration et d’exclusion au sein des groupes de pairs permet d’apprendre aux enfants à partager l’espace dès l’école, à commencer par ce micro-espace public qu’est la cour de récréation et à le considérer comme un espace mixte coopératif.

Suite en 2014, au rapport du commissariat à la prospective et en 2017 à l’étude du Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes, des collectivités locales ont mené des expérimentations sur les cours d’école non genrées. Le travail sur l’égalité filles-garçons dans les cours de récré bénéficie en premier lieu aux filles mais, au-delà, à tous les enfants qui aimeraient jouer aux billes ou lire…

Agen : la géographie du genre, qu’est-ce que c’est ?

En 2018, la ville de Trappes dans les Yvelines a rénové ses 36 cours en tenant compte des questions liées au genre. En 2020, il semblerait que les choses se soient accélérées, tant la presse s’est fait l’écho d’initiatives pour « dégenrer » les cours, selon le terme utilisé par le maire de Grenoble. Le bitume qui couvrait 5 000 mètres carrés a été partiellement cassé, pour laisser la place à des pelouses, de la prairie, du sable, des graviers, des copeaux de bois, un potager… Il s’est agi de varier la qualité des espaces pour créer des ambiances différentes ; favoriser les pratiques culturelles (des « murs d’expression ») ; prévoir des sièges pour les lecteurs… En mettant sans cesse la mixité en valeur, des idées ont été proposées telles que des récréations sans ballons avec des jeux de société, coopératifs (kapla, yo-yo) et aussi des jeux sans technicité.

Travailler sur l’égalité nécessite d’accompagner la transformation des pratiques en s’intégrant dans une réflexion plus globale sur la mixité. Cela passe par une démarche collective associant élèves et adultes, que cela soit en classe par le travail de l’équipe enseignante sur l’égalité filles-garçons (littérature jeunesse, débats…) mais aussi dans les cours de récréation. Il est incohérent de laisser les garçons faire ce qu’ils veulent dans la cour, et une fois qu’ils sont en classe, de leur imposer des règles. L’implication de tous les acteurs autour du projet d’école est indispensable ainsi que la restructuration de l’espace et un accompagnement formatif sur les stéréotypes sexistes et les représentations partagées de l’égalité.The Conversation

Christine Gautier Chovelon, Enseignante chercheure en sciences de l’éducation et de la formation – Affiliée au laboratoire de recherche LINE, Université Côte d’Azur

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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