Les moyens de paiement dématérialisés s’imposent dans notre quotidien. Les billets et les pièces sont-ils dès lors destinés à disparaître ? Entretien avec Pierre Damien Fougou, de l’Irdap, Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine de l’Université de Bordeaux, auteur d’une thèse sur « La monnaie électronique dans les espaces bancaires européens, sous régionaux africains et OHADA »

Dans quelle mesure l’argent dématérialisé prend-il le pas sur le cash ? 

La place de la monnaie dématérialisée a pris et prendra une place grandissante, avec un amenuisement du liquide. C’est déjà le cas en Asie où cette dématérialisation est très forte, mais aussi en Europe, comme en Suède, qui a volontairement réduit sa production d’argent liquide, celle-ci ne représentant plus que 1% de la masse monétaire.

En France, outre, le paiement en carte bancaire sans contact en magasin et les achats via Internet, on voit également se multiplier les applications telles que PayPal ou Lydia. Ces porte-monnaie électroniques, non reliés à des comptes bancaires et sans frais bancaires permettent de payer avec son téléphone portable, soit un moyen de plus en plus utilisé par les jeunes. Les cryptomonnaies progressent (2 millions de personnes en France en détiennent) notamment le bitcoin, avec la possibilité désormais même de faire des achats dans certaines enseignes.

En 2020, voyant que les bitcoins prenaient de la valeur et que le système de transactions par les blockchains était sécurisé, la Banque centrale européenne a également lancé l’euro numérique. 

Comment expliquez-vous cette progression fulgurante ? 

Cette monnaie dématérialisée est comme un jouet qu’on aime bien. On y voit un moyen de rapidité de transactions et de traçabilité. Dans le domaine public, elle offre à l’État un moyen de lutter contre la fraude fiscale, le blanchissement d’argent, les financements criminels ou terroristes, ce qui explique que ces canaux de paiement sont favorisés. On peut voir qu’il y a ainsi une incitation juridique avec un décret de 2015 qui interdit de payer en espèce au-delà de 1000 euros.

La plupart des banques ont défini une impossibilité de retrait d’argent liquide en deçà de 10 euros. Beaucoup de commerces, eux, désormais acceptent la carte bancaire pour de petites sommes. Cette dématérialisation est non seulement un levier pour favoriser la consommation mais elle représente également un vecteur de l’évolution du commerce, d’autant plus que l’on note une grande accessibilité des produits et services commerciaux de par le monde.

Les applications de porte-monnaie électroniques progressent également car elles permettent de ne pas payer des frais bancaires ou d’agios. 

Va-t-on dès lors vers une disparition totale de l’argent liquide ? 

Je ne crois pas. On ne peut l’imposer aux personnes qui ont vécu dans cet environnement depuis l’enfance, d’autant plus en France où il y a attachement fort au « papier », ce qui se traduit d’ailleurs par des lourdeurs administratives et la paperasse qui en découle.

Cela pourrait créer aussi un déphasage entre ceux maitrisant ces nouveaux modes de paiement et une partie de la population, démunie, qui serait mise à l’écart. Cela poserait question pour les personnes avec par exemple un handicap visuel, qui seraient plus vulnérables face aux arnaques. Ce fossé existe déjà et serait renforcé.

Cela demanderait aussi un changement de mentalités. L’aspect principal de la monnaie, c’est la notion de confiance. Aujourd’hui, les gens ont confiance, les yeux fermés, dans la valeur de l’argent liquide, ce qui n’est pas le cas pour l’argent dématérialisé. On voit bien par ailleurs que le chèque qui était voué à disparaître est toujours présent. L’argent liquide ne s’arrêtera pas dans 10 ans.

Si c’était le cas, à plus long terme, quelles en seraient les éventuelles conséquences ?  

Certains y voient un risque d’incursion de l’État dans la vie quotidienne de par une traçabilité accrue. On peut se poser également la question de l’empreinte carbone. La transaction des bitcoins, très énergivores a été pointée du doigt, mais on ne sait pas encore ce qui serait le plus nuisible à l’environnement entre espèce et immatériel.

Le 100 % argent dématérialisé pourrait représenter aussi un risque en cas de bug informatique ou de hacking généralisé, ce qui créerait une perte de confiance. En situation de guerre, il peut se produire aussi des dévaluations, et dans ces cas-là les banques centrales, pour réguler, peuvent bloquer les retraits. Cela ne serait plus possible si l’argent liquide n’existait plus. De ce fait, comme l’or, l’argent liquide, même s’il sera moins présent, restera, selon, moi, précieux comme une valeur « refuge ». 

Propos recueillis
par Marianne Peyri

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