Au cours des 50 dernières années, la consommation d’alcool a diminué régulièrement en France, une baisse principalement imputée à la diminution de la consommation de vin. Malgré tout, aujourd’hui, encore 10 % des Français adultes sont en difficulté avec l’alcool.

La consommation excessive d’alcool n’est pas sans dommage sur le cerveau. De nombreuses études ont révélé que le volume de structures cérébrales impliquées dans la cognition et l’apprentissage se réduit de façon conséquente chez les personnes dépendantes à l’alcool. Cette diminution est partiellement réversible après un arrêt prolongé de la consommation, mais toutes les régions du cerveau ne récupèrent pas de la même façon. Quelles sont celles qui bénéficient d’un arrêt de l’alcool ? Et, dans le cas de celles qui n’en bénéficient pas, quelles en sont les conséquences ?

L’alcool diminue le volume cérébral

Même chez des buveurs modérés mais réguliers, une réduction globale du volume cérébral a été constatée. Elle n’est toutefois pas définitive : à l’arrêt de l’alcool, on constate une récupération partielle du volume du cerveau, qui s’accompagne d’une amélioration des capacités cognitives. De nombreux facteurs influent sur cette récupération : l’âge, le genre, des facteurs génétiques, l’existence d’antécédents familiaux d’addiction à l’alcool, le tabagisme, etc.

L’altération cérébrale liée à l’alcool peut-elle, elle-même, influencer les comportements liés aux addictions ? En d’autres termes, peut-elle augmenter les risques de rechute ? Pour le savoir, la première étape était de déterminer quelles régions cérébrales, parmi celles impliquées dans l’addiction, s’avéraient les plus touchées par ces variations de volume. L’équipe de Timothy Durazzo et Dieter Meyerhoff, sans doute les auteurs les plus connus dans le domaine de la neuroimagerie structurale dans l’alcoolodépendance, s’est récemment penchée sur la question.

Une récupération immédiate

Les chercheurs ont analysé par IRM les cerveaux de 85 personnes alcoolodépendantes une semaine, un mois et sept mois après qu’elles aient arrêté de consommer de l’alcool, et les ont comparés aux images cérébrales d’individus témoins consommant très peu ou pas d’alcool, donc sans dépendance.

Étaient considérées comme dépendantes les personnes dont la consommation avait été de plus de 204 verres d’alcool dits « standards » (un verre standard correspond à peu près à un « ballon » de 12 cl de vin soit 10 g d’éthanol) par mois au cours des 8 dernières années pour les hommes, et 108 verres pendant les 6 dernières années pour les femmes. Cette différence s’explique par le fait que les hommes éliminent l’alcool plus rapidement que les femmes, et que les effets cérébraux et organiques sont plus importants chez ces dernières, à dose égale.

Au sujet des différences entre les genres, il est intéressant de souligner que si les hommes nés entre 1891 et 1910 étaient trois fois plus susceptibles que les femmes nées à la même période d’avoir un usage problématique de l’alcool, ce ratio s’est progressivement amenuisé au cours du XXe siècle. Au point qu’aujourd’hui, il n’existe plus d’écart significatif entre les garçons et les filles nés entre 1991 et 2000.

Une consommation régulière d’alcool entraîne une diminution du volume de certaines zones cérébrales. DR

Dans l’étude, les IRM ont révélé que toutes les régions étudiées (cortex cingulaire antérieur, insula, cortex préfrontal dorsolatéral, cortex orbitofrontal) étaient altérées au moment où les participants entamaient leur période d’abstinence. Après l’arrêt de l’alcool, néanmoins, le volume des structures cérébrales affectées augmentait à nouveau au fil du temps, et ce dès que les personnes cessaient leur consommation. Les effets de l’arrêt de consommation étaient en effet détectables dès la première semaine ou le premier mois d’arrêt. Ces récupérations suivaient toutefois des trajectoires très différentes selon les individus, certains récupérant moins bien que d’autres.

En outre, une structure ne récupérait jamais : l’hippocampe. Or celle-ci joue un rôle important la mémorisation, en particulier dans la formation de nouveaux souvenirs.

Des différences qui expliqueraient l’inégalité face à l’alcool

Les anomalies neurobiologiques survenant dans l’hippocampe semblent donc plus persistantes que celles se produisant dans le cortex. Ceci pourrait entraîner des problèmes d’apprentissage, en particulier en ce qui concerne les nouvelles tâches intervenant dans la gestion de l’abstinence sur le long terme. Conjugué au fait que la plasticité de la matière grise observée durant l’abstinence varie d’un individu à l’autre, ceci suggère que certaines personnes pourraient présenter plus de risques de rechute.

L’étude avait toutefois certaines limites. D’abord, aucune IRM n’avait été réalisée avant l’arrêt de l’alcool. L’obtention de tels enregistrements est bien entendu difficile, en raison de contraintes à la fois techniques et éthiques. Ensuite, la plupart des sujets n’avaient pas passé les trois enregistrements successifs (à une semaine, un mois et sept mois après l’arrêt de l’alcool), ce qui limite la valeur des données recueillies. Enfin et surtout, aucune mesure cognitive associée n’a été réalisée (ce point doit faire l’objet de recherches futures). C’est regrettable, car elles auraient été nécessaires pour montrer que les atteintes des structures cérébrales ont de réelles significations cliniques.

À la recherche des origines de la susceptibilité individuelle

Les études du même type déjà réalisées sur des sujets alcoolodépendants ont montré qu’ils subissent deux types d’atteintes. D’une part, des atteintes qu’on peut qualifier « d’irritation », à la fois diffuses et fréquentes, mais aussi réversibles après arrêt de l’alcool. D’autre part, des atteintes devenues « fixées », qui perdurent bien après l’arrêt de l’alcool.

Dans ce contexte, beaucoup de questions restent sans réponse. D’abord, même si l’on suspecte l’existence d’un lien fort avec les atteintes cognitives (lesquelles se séparent d’ailleurs selon les deux mêmes types – « irritatifs » et « fixés »), celui-ci n’a jamais vraiment été correctement étudié jusqu’à présent, alors qu’il a une importance évidente en pratique. Ensuite, il est crucial de comprendre pourquoi certaines atteintes (la plupart) sont réversibles, alors que d’autres se figent et laissent des traces, sinon indélébiles, au moins durables. Enfin, il est essentiel de comprendre pourquoi certains sujets sont plus exposés que d’autres aux atteintes fixées.

S’agit-il d’une question de dose et de durée d’exposition à l’alcool ? Trop simpliste, sans doute. Les différences observées d’un patient à l’autre s’expliquent probablement par des facteurs individuels de susceptibilité neurobiologique à l’alcool, encore méconnus. Mieux connaître ces déterminants sera l’enjeu majeur des prochaines années pour les chercheurs.


Cet article s’inspire d’une parution de la newsletter d’Addict’Aide, qui permet de s’informer sur toutes les questions d’addiction. Le portail Addict’Aide est soutenu par MGEN, groupe VYV.

Benjamin Rolland, Psychiatre, addictologue, maître de conférences des universités – Praticien hospitalier, Inserm U1028 / CNRS UMR5292, responsable du SUAL (Service Universitaire d’Addictologie de Lyon), Université Claude Bernard Lyon 1

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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