De plus en plus de Français se tournent vers les « médecines douces », telle que la naturopathie pour soulager certains maux du quotidien. Que vaut la naturopathie, souvent décriée et objet de dérives ? Le point avec le professeur Grégory Ninot, chercheur à l’Institut Desbrest d’épidémiologie et de santé publique et à l’Institut du cancer de Montpellier
Les médecines dites « douces », « alternatives », « non conventionnelles » ou « complémentaires » ont le vent en poupe. Selon une étude Harris interactive pour le réseau de soins Santéclair, plus de 7 Français sur 10 (71 %) ont testé au moins une fois dans leur vie une telle pratique.
En revanche, seulement 10 % des Français déclaraient, en 2019, avoir déjà consulté un naturopathe. Mais depuis plusieurs mois, les naturopathes (environ 6000 en France) sont sous un feu nourri de critiques, en raison de dérives de ces « soins » aux contours flous. Certains ont défrayé la chronique.
Mi-janvier, le naturopathe Eric Gandon, ancien commercial reconverti dans les thérapies alternatives, a été placé en détention provisoire après la mort de trois participants à ses stages de jeûne intensif. Il a été mis en examen pour « homicide involontaire », « mise en danger de la vie d’autrui », « abus de faiblesse » et « exercice illégal des professions de médecin et de pharmacien ». En août dernier, la naturopathe Irène Grosjean, complotiste et doyenne du mouvement crudivore, avait déjà provoqué des remous : dans une vidéo, rediffusée sur les réseaux sociaux, elle recommandait des « bains dérivatifs », dans l’eau froide et avec friction des organes génitaux, pour guérir les enfants fiévreux. Celle-ci avait également poussé l’un de ses patients, atteint d’un cancer de la prostate, à abandonner sa chimiothérapie. Il est mort trois mois plus tard. Quant au crudivoriste Thierry Casasnovas, il est concerné par une information judiciaire pour « exercice illégal de la médecine ».
Face à ces tollés, la plateforme Doctolib a annoncé le déréférencement, d’ici à avril 2023, des naturopathes et autres praticiens non référencés par les autorités sanitaires.
Qu’est-ce que la naturopathie ?
Le professeur Grégory Ninot, chercheur à l’Institut Desbrest d’épidémiologie et de santé publique et à l’Institut du cancer de Montpellier, et auteur de 100 médecines douces validées par la science (Belin, 2022) prévient : « Il n’y a pas une naturopathie, mais des naturopathies. Il existe plusieurs écoles et courants de naturopathie. La communauté n’est pas structurée, les professionnels pas formés de la même façon, et certaines pratiques ont une rationalité questionnable. En outre, la profession n’est pas réglementée. »
Apparue aux États-Unis à la fin du XIXe siècle et prisée en Allemagne, la naturopathie regroupe un ensemble de pratiques de prévention et soin non conventionnelles, c’est-à-dire non reconnues par la médecine moderne. Elle promet de « restaurer l’équilibre du corps humain », selon ses praticiens. Au moyen de bilans sanguins, de changement de mode de vie (activité physique, rééquilibrage alimentaire, arrêt de l’alcool et du tabac…), de remèdes naturels (plantes, huiles essentielles, vitamines et minéraux…) et d’interventions non médicamenteuses (relaxation, massages, jeûne…). Elle recouvre donc de nombreuses disciplines, dont l’aromathérapie, la micronutrition et la phytothérapie. Elle n’est pas remboursée par l’Assurance maladie.
Quelle efficacité ?
Est-ce efficace ? « Il n’y a pas de données scientifiques » rappelle régulièrement dans les médias Bruno Falissard, professeur, pédopsychiatre, directeur du Centre de recherche Inserm en épidémiologie et santé des populations (CESP) à Villejuif.
« L’aspect préventif de la naturopathie est intéressant, pense, quant à lui, le professeur Grégory Ninot. D’ailleurs, le professeur Franck Chauvin, président du Haut conseil en santé publique, vient de remettre un rapport, « Dessiner la santé publique de demain », dans lequel il souligne l’importance de faire désormais de la prévention une priorité plutôt que de se limiter au soin. Certains remèdes naturels prisés en naturopathie fonctionnent : le gingembre contre la nausée durant la grossesse, le thé vert contre l’acné… »
Mais le professeur Ninot alerte : » La naturopathie peut présenter des risques, notamment en cas d’interactions entre chimiothérapie et plantes ou compléments alimentaires, qui peuvent engendrer une toxicité et/ou diminuer l’efficacité des traitements et, par là, des chances de guérison. »
Gare aux dérives !
L’expert recommande cinq conseils pour bien choisir son naturopathe et minimiser les risques de dérive : « S’il vous demande d’échapper à votre médecin traitant, fuyez. S’il prétend tout guérir avec sa méthode, idem. S’il soutient des théories trop simplistes ou ésotériques, méfiez-vous. Il doit vous demander votre consentement, ce n’est pas toujours le cas. Demandez-lui s’il travaille avec d’autres professionnels de santé du territoire. »
La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) met en avant dans son rapport annuel les très nombreux signalements reçus au sujet de naturopathes, ainsi que des dérives qui sont associées à leurs activités.
Pour aller mieux, commencez par des valeurs sûres et moins coûteuses : une alimentation équilibrée, une activité physique régulière et soutenue, pas de tabac, le moins d’alcool possible… Et évidemment un suivi médical par votre médecin généraliste.
Florence Heimburger
Avec le soutien du ministère de la culture
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