Grippe H1N1, Covid-19, Mers-Cov, etc. Les maladies émergentes se multiplient ces dernières décennies. Entretien avec Laurence Delhaes, chef de service de parasitologie-mycologie, au CHU de Bordeaux, qui débute avec l’infectiologue Denis Malvy, un programme de recherche, financé par la Région Nouvelle-Aquitaine, sur les maladies émergentes
Dans les décennies à venir, l’homme sera-t-il confronté de plus en plus à de nouvelles maladies ?
Laurence Delhaes : Oui, il y aura probablement une augmentation de maladies émergentes et en particulier de maladies dites zoonoses, issues d’un transfert de l’infection de l’animal à l’homme. On parle aussi de transgression de barrières, avec un passage par exemple d’un virus parfois entre plusieurs animaux avant de passer chez l’homme. Par exemple, de l’oiseau sauvage au poulet puis à l’homme. Ou du singe à l’homme par piqûre de moustique, comme cela s’est produit récemment pour le parasite plasmodium (Plasmodium knowlesi) en Asie du Sud-Est.
De 1940 à 2000, on a ainsi pu constater que le nombre de ces maladies émergentes a été multiplié par 5 et que les ¾ de ces infections émergentes sont des zoonoses, provenant essentiellement de la faune sauvage.
Ces microorganismes seront-ils dangereux ?
Laurence Delhaes : Tout dépendra de leur virulence et de leur capacité à se multiplier. Par exemple, le virus de la Covid-19 était très contagieux mais avec une virulence touchant surtout les sujets âgés ou ayant des facteurs de risques ou comorbidité. On ne peut pas le prévoir mais, en revanche, on constate que le temps entre deux événements de maladies émergentes se raccourcit.
Comment expliquez-vous cette augmentation récente et à venir ?
Laurence Delhaes : Nos activités, la mondialisation de l’action humaine, la densification de la population amènent à multiplier les occasions de rencontres homme-animal et donc l’émergence de nouvelles maladies. La déforestation qui déstabilise une zone animale et végétale, l’extension des routes et des zones urbanisées, ainsi que la multiplication des transports et de la mobilité humaine favorisent le contact avec la faune sauvage et la transgression des barrières. Les hommes ont toujours voyagé mais désormais, nous voyageons beaucoup, massivement et très rapidement, ce qui augmente le risque de survenue d’une pandémie.
Le réchauffement climatique est-il également la cause ?
Laurence Delhaes : Les changements climatiques amplifient ce phénomène de déplacements humains ou d’animaux pour l’accès à l’eau et à la nourriture. Plus localement, par exemple, en Nouvelle-Aquitaine, région traversée par les oiseaux migrateurs, le réchauffement climatique peut impacter le timing ou leur trajet de migrations. Si ces circuits habituels bougent, cela peut avoir des conséquences sur la transmission de microorganismes (virus, bactérie ou micro-champignon) par ces oiseaux sauvages à des animaux domestiques voire aux humains travaillant à proximité. La grippe aviaire en est un exemple avec un cas de transmission de l’animal à l’humain rapporté en Chine il y a quelques mois.
On constate aussi l’apparition du moustique tigre, un moustique originaire des forêts tropicales d’Asie du Sud-Est maintenant adapté à notre région. Avec des zones de vie plus en plus étendues, ce moustique peut être responsable de la transmission à l’homme de virus comme ceux de la dengue, du Zika ou du Chikungunya autochtone comme cela s’est produit en France l’an dernier.
Peut-on craindre aussi la résurgence de certains virus avec la fonte des glaciers ?
Laurence Delhaes : De fait, le gel préserve très bien les microorganismes et donc les virus. La fonte des glaciers peut avoir un côté effrayant mais pour l’instant, le fait qu’elle serait à l’origine de futures épidémies n’en est qu’au stade d’hypothèse.
Confronté à ces nouvelles maladies, l’homme développera-t-il une plus grande résistance ?
Laurence Delhaes : Oui, ce sera probablement le cas. On le voit avec la Covid-19 qui a montré que l’homme est capable de s’adapter, et d’avoir une très grande résilience, avec cependant un prix et des dommages importants.
L’augmentation de la résistance aux antibiotiques peut-elle être un facteur de multiplication de ces maladies ?
Laurence Delhaes : C’est une inquiétude, dont la progression est plus silencieuse et lissée dans le temps, mais réelle. L’utilisation de molécules proches pour l’animal et les cultures est un problème et contribue à augmenter cette résistance aux antibiotiques. Cela génère des difficultés pour traiter ces microorganismes ultrarésistants, un phénomène qui, de fait, fragilise l’homme face aux maladies émergentes.
Selon une étude parue dans la revue Science en 2018, il existerait 1,7 million de virus inconnus chez les mammifères et les oiseaux, la moitié pouvant infecter l’humain. La réserve et le risque paraissent énorme ?
Laurence Delhaes : On sait qu’en microbiologie il existe plusieurs millions de micro-organismes et qu’une petite partie est connue : plusieurs millions de micro-champignons pour 10 à 20 % connus. Il y a d’ailleurs des recherches actuelles notamment sur la présence de micro-organismes dans les fonds marins. Il est certain qu’il reste à découvrir plus que ce qu’on connait actuellement. Les différentes causes évoquées plus haut sur la mobilité, le réchauffement climatique, les modifications des migrations, etc. pourraient favoriser leur émergence et de fait leur connaissance.
Propos recueillis
par Marianne Peyri
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