Des chiens errants vivent toujours aux alentours de la centrale nucléaire de Tchernobyl et même à l’intérieur. Depuis 2017, des scientifiques tentent de comprendre comment ces animaux ont réussi à survivre dans un environnement aussi hostile. Timothy Mousseau, biologiste évolutionniste à l’université de Caroline du Sud et coordinateur scientifique de l’ONG Clean Futures Fund, a participé à cinq missions. Tout juste rentré d’Ukraine, il décrypte pour Curieux! les recherches en cours


Timothy Mousseau s’est rendu à Tchernobyl en juin 2023, avec l’équipe vétérinaire de l’ONG Clean Futures Fund.

« Les chiens qui vivent à l’intérieur et autour de la centrale nucléaire de Tchernobyl sont en grande partie les descendants des chiens laissés sur place au moment de l’accident. En 2017, lorsque le programme de stérilisation et de vaccination mené par le Clean Futures Fund a commencé, il y avait environ 1000 chiens errants dans toute la zone. L’équipe vétérinaire de l’ONG en a stérilisé environ 700.

C’est dans ce contexte, que des échantillons de sang et de tissus ont été prélevés par des chercheurs de l’université de Caroline du Sud (Columbia, États-Unis). Car l’étude de ces chiens offre une occasion unique de faire progresser à la fois les études en génétique évolutive et les études sur les effets des radiations sur la santé humaine. 

Une exposition chronique à de faibles niveaux de rayonnements

Actuellement, ces chiens sont exposés à un débit de dose moyen inférieur à 10 microsieverts* par heure. Il s’agit d’une dose faible, mais une partie importante de celle-ci provient du strontium radioactif (Sr-90) qui imite le calcium dans le corps des mammifères. Il peut donc s’accumuler dans leurs os et leurs dents. Cela peut conduire à des doses beaucoup plus élevées que les niveaux de fond moyens pour certains tissus du corps. L’exemple de l’iode radioactif (dont l’iode 131) illustre bien cet effet. Cette substance, libérée en grandes quantités lors de la catastrophe de Tchernobyl, se concentre dans la glande thyroïde des jeunes en développement. Suite à cette catastrophe, plusieurs milliers d’enfants ont été diagnostiqués avec un cancer de la thyroïde.

Faire progresser les études en génétique évolutive

Du fait de leur isolement, les populations de chiens de Tchernobyl évoluent indépendamment depuis 37 ans sous l’effet de divers facteurs de stress environnementaux, dont les radiations. Cet isolement est un atout pour l’étude des processus évolutifs. Le séquençage de leur génome, effectué par des chercheurs du National Institute Health (Bethesda, Etats-Unis) à partir des échantillons de sang, a permis de relever de nombreuses mutations génétiques. Ces mutations sont-elles le résultat de l’exposition aux radiations ? Nous ne le savons pas encore, mais nous allons approfondir cette question dans les années à venir.

Les prochaines étapes consisteront à examiner les parties du génome qui ont changé au cours des trente-sept dernières années. L’équipe espère répondre à de nombreuses questions. Que doit-il se passer pour que les petits naissent vivants et puissent grandir ? Les gènes qui ont changé coïncident-ils avec ce que l’on sait des effets des radiations ? Existe-t-il des changements dans les gènes impliqués dans la réparation de l’ADN, le métabolisme, le vieillissement, ou autre chose qui ont permis aux chiens de survivre ? À partir de quel niveau les effets nocifs se font-ils sentir ?

Mieux connaître les effets des radiations à long terme

L’autre intérêt de l’étude des chiens, où qu’ils soient, tient à leur ressemblance avec nous. Les chiens et les humains coexistent généralement. De plus, les chiens sont atteints d’un grand nombre de maladies identiques à celles des humains, y compris les cancers. Les chiens sont donc peut-être le meilleur bio indicateur « canari dans la mine de charbon » pour les humains vivant dans des environnements hostiles. » 

Propos recueillis
par Alexandrine Civard-Racinais

Photos : T.A. Mousseau / Clean Futures Fund (c) 2023.

Les faits :

Suite à l’explosion du réacteur 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine), le 26 avril 1986, les autorités soviétiques ordonnent l’évacuation de la ville de Tchernobyl, Pripyat, et de 187 autres villes et villages. Près de 120 000 personnes sont contraintes de partir, laissant derrière elles leurs animaux de compagnie. La zone d’exclusion de 2 600 km² autour de la centrale est toujours en vigueur.

A lire

Les recherches en cours depuis 2017 sur les chiens de Tchernobyl ont fait l’objet d’une première publication scientifique publiée dans Science Advances (en anglais). Cette étude présente la première analyse génétique de chiens domestiques affectés par une catastrophe nucléaire.

A Voir :

Ce film documentaire, diffusé en 2020, raconte les débuts de l’ONG Clean Futures Fund, et la manière dont ses équipes œuvrent pour améliorer les difficiles conditions de vie des chiens de Tchernobyl.

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