Les disciplines, à priori bien différentes des sciences dites « naturelles » ou « dures », peuvent-elles être considérées comme des sciences ? Nous avons posé la question à Philippe Huneman, philosophe des sciences à l’institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques (CNRS/Université Paris I Panthéon-Sorbonne)

« L’histoire, l’économie et le droit s’occupent des affaires humaines et sont donc traditionnellement classées dans les humanités, tout comme la théorie de la littérature. Or depuis la création des universités, le savoir académique est divisé entre le humanités et les sciences, où l’on trouve la physique, les sciences de la vie, la chimie et l’astronomie par exemple. A priori ces disciplines des humanités ne sont donc pas classées parmi les sciences.    

Une ambition de vérité

Mais la frontière n’est pas si nette. Car en réalité, il n’est pas simple de définir ce qu’est une science. On pourrait par exemple penser qu’une science est définie par la présence d’expériences et d’observations, mais ce n’est en fait pas suffisant. Si on opte pour une définition très large de la science comme étant un ensemble de disciplines articulées autour d’une ambition de vérité, l’histoire et l’économie pourraient en faire partie.

Et cette dernière a certains points communs avec une science comme la physique. Au cœur de l’économie classique, on trouve la notion d’homo oeconomicus qui serait un humain qui n’effectuerait que des choix totalement rationnels. Mais c’est une fiction car l’humain est toujours un peu irrationnel. Néanmoins, cette notion permet de comprendre et d’analyser un grand nombre de choses dans tous les domaines de l’activité humaine.

On retrouve le même paradoxe en physique : le principe d’inertie, qui est fondamental, indique qu’un corps qui ne serait soumis à aucune force extérieure reste dans un mouvement rectiligne uniforme. Mais voilà, une telle situation n’existe pas dans la réalité. Il y a donc l’idée d’une construction logique, déductive et souvent mathématisée avec en son cœur des principes tellement simples qu’ils sont fictionnels, mais qui permettent une très grande généralisation, notamment pour faire de la modélisation. En ce sens, l’économie ressemble beaucoup à la physique.

Des faits établis objectivement

L’histoire est l’un des disciplines principales des humanités, elle s’est donc structurée à part des sciences naturelles. Elle étudie des choses qui sont non répétables et non universelles, et en ce sens elle diffère des sciences. Mais il existe quand même des règles et des protocoles qui permettent d’établir objectivement des faits historiques. Et on observe des controverses parmi les historiens de la même manière qu’il existe des controverses entre physiciens.

Le droit est assez différent, il a davantage à voir avec le juste et le bien, là où l’économie et l’histoire cherchent la vérité. Or ce qui est juste est par définition normatif, le droit s’articule donc principalement autour d’une norme de justice qui est différente des normes de vérité. Il existe même des situations où le droit décrit le contraire de la réalité.

Une vérité individuelle

Enfin, la littérature est totalement à part, car c’est de l’art, et c’est donc différent des humanités. Elle s’intéresse aux choses singulières et tente de saisir ce qui est absolument unique, qu’il s’agisse d’un sentiment, d’un individu ou d’une expérience. Tout cela ne peut être traduit par des modèles mathématiques.

Il y a néanmoins une réelle ambition de vérité dans la littérature. Les romans du XIX e siècle de Stendhal, Balzac et Flaubert décrivent la réalité du monde social de cette époque, à un moment où la sociologie n’existait pas encore et c’était donc la littérature qui faisait office de science humaine et sociale. Mais c’est une ambition de vérité qui est structurée de façon très différente de celle de la science car la littérature vise des choses qui sont de l’ordre du singulier ou de l’individuel.

Thomas Allard

Avec le soutien du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation

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