Un oligo-élément pourrait permettre aux insectes de mieux résister à l’appauvrissement de leurs ressources. La start-up Oligofeed l’a testé sur les abeilles parce qu’on connaît leur mortalité. Les chiffres sont prometteurs

Quel est le point commun entre la résistance des canons de la Première Guerre mondiale et la santé des abeilles ? Le molybdène, 42 de son numéro atomique et MO de son petit nom chimique. Un oligo-élément que l’on ne trouve pas à l’état natif mais dans d’autres minerais. Et qui a la particularité de renforcer la résistance de l’acier. Et en même temps, celle des abeilles !

Mais pour faire le lien, il a fallu que Sébastien Floquet aille voir ailleurs qu’en chimie. Enseignant-chercheur en chimie fondamentale à l’Institut Lavoisier de Versailles, il était spécialisé dans l’hydrogène mais il a un jour été amené à se pencher sur les particularités du molybdène. Et s’est dit qu’il y avait sûrement quelque chose à exploiter avec cette molécule, mais plutôt du côté de la biologie. Parce que ses propriétés dans l’activité de nombreuses enzymes ou la fertilité des sols commencent à être connues.

La Moldavie et l’apiculture

Et c’est du côté de… la Moldavie qu’il va trouver ce qu’il lui faut. L’académie des sciences moldave cherchait de nouvelles molécules à tester selon ses méthodes : en screening, c’est à dire en étudiant leurs propriétés dans des domaines qui n’ont a priori rien à voir les uns avec les autres. Et c’est dans le domaine de l’apiculture qu’ils ont trouvé les applications les plus prometteuses. Même si, pour Aneta Ozieranska avec qui Sébastien Floquet a co-fondé Oligofeed pour exploiter ces résultats, « le molybdène est utile aussi pour d’autres insectes et d’autres animaux. D’autres applications sont possibles. »

Effets antioxydants

L’idée est de mélanger le molybdène à la solution sucrée que les apiculteurs donnent à leurs colonies pour l’hiver (qui remplace le miel récolté). Cela compense la faible présence de cet oligo-élément dans les pollens récoltés, du fait de l’appauvrissement des sols. Le molybdène interagit avec les glandes hypopharyngiennes qui aident à la longévité de l’abeille et à la production de vitamine. Elle est assimilée par la membrane qui protège le cerveau des abeilles. Enfin « elle a des effets antioxydant et permet aux abeilles de se défendre contre le stress oxydatif. »

Diminuer la mortalité de moitié

Souvent associé à d’autres éléments, notamment le plomb, le molybdène est essentiel pour l’homme, comme pour les abeilles

Les abeilles, comme tous les insectes sont victimes de l’appauvrissement des ressources naturelles à cause de la monoculture et des produits chimiques utilisés. Mais pour les abeilles, on connaît mieux les chiffres. La combinaison de ces facteurs agricoles, de leurs parasites (varroa), du changement climatique provoque une mortalité hivernale de 40%. Dix fois plus que ce qui devrait être la norme. L’exploitation des abeilles dans des ruches permet de tester plus facilement le produit. Et ce dans plusieurs pays, pour avoir des résultats correspondant à plusieurs types d’environnements et de climats. C’est en Californie où la situation est particulièrement dramatique (80% de mortalité) que les résultats ont été les plus probants avec 50% de mortalité en moins. En France, Aneta Ozieranska évalue à 60% la production de miel supplémentaire.

Dès le départ, il y a huit ans, la société d’accélération du transfert de technologies (SATT) de Paris Saclay a investi dans la maturation de la technologie, pour le dépôt des brevets et l’étude de marché notamment. Et a mis en relation Sébastien Floquet pour l’aspect scientifique avec Aneta Ozieranska, ingénieur en informatique de gestion pour monter la start-up Oligofeed. En attendant d’avoir les autorisations administratives pour une mise sur le marché d’ici deux ans, les études se poursuivent. Et on songe déjà à d’autres applications pour d’autres espèces. Pour une résistance comme l’acier.

Jean Luc Eluard

Avec le soutien du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation

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