Selon certains pseudo-thérapeutes, il existerait des preuves montrant que l’effet des traumatismes pourrait se transmettre de manière inconsciente au fil des générations. Mais cette vision est en réalité loin d’être confirmée par les études scientifiques
Si vous avez régulièrement mal au dos, que vous souffrez de maux de gorge ou de dépression, ce sont peut-être vos ancêtres qui en sont à l’origine. Telle est la thèse soutenue par les adeptes de la psycho-généalogie.
Cette discipline pseudo-scientifique qui a connu son essor dans les années 1970 sous l’impulsion de la psychologue Anne Ancelin Schützenberger défend l’idée selon laquelle les événements, les traumatismes, les secrets et les conflits vécus par vos ancêtres sont à l’origine de nos maladies ou troubles psychologiques. Ainsi, des maux de gorge pourraient par exemple être causés par le fait que l’un de vos aïeux fut guillotiné deux siècles plus tôt, au moment de la Révolution française.
Afin de donner une caution scientifique à ces théories, certains promoteurs de la psycho-généalogie invoquent l’épigénétique, qui permettrait selon eux de valider l’idée d’une transmission des traumatismes au fil des générations.
Moduler l’expression des gènes
L’épigénétique est le domaine de la biologie qui étudie les processus moléculaires qui permettent de moduler l’expression des gènes, sans changer la séquence d’ADN. « L’épigénétique s’intéresse à la manière dont un gène est utilisé, ou non, et au contrôle de son niveau d’expression », détaille Christophe de La Roche Saint-André, chercheur au Centre de recherche en cancérologie de Marseille, et auteur de l’ouvrage « Quand l’épigénétique s’en mêle ».
« Nous avons le même ADN dans toutes nos cellules, mais on n’active pas les mêmes gènes suivant que l’on se trouve dans un globule blanc ou dans une cellule musculaire par exemple. Il y a donc des gènes qui restent silencieux, et d’autres qui sont activés. Les mécanismes épigénétiques, c’est ce qui va faire en sorte que l’ADN pourra être accessible ou non à des protéines qui permettent d’activer ces gènes. Un ADN compacté sera inaccessible et ne pourra pas être lu, alors qu’une structure décompactée sera accessible à ces petits interrupteurs qui activent les gènes », poursuit le chercheur.
Quand l’organisme doit s’adapter
Mais quel est le lien entre l’épigénétique et les traumatismes vécus par une personne ? « Les modifications épigénétiques permettent de répondre aux modifications de notre environnement. Tout ce que nous mangeons, les pollutions que l’on subit, ou encore les perturbations comme le stress induisent des modifications épigénétiques, car l’organisme doit s’adapter en permanence », souligne Christophe de La Roche Saint-André. Le fait de vivre un épisode de famine par exemple peut laisser des marques épigénétiques.
Néanmoins, contrairement à ce qu’affirment les psycho généalogistes, rien ne permet d’affirmer que ces modifications épigénétiques se transmettent au fil des générations chez les humains, même si « cette hérédité transgénérationnelle fonctionne bien chez les végétaux, ou chez certains animaux comme la drosophile », souffle le chercheur.
Car chez les mammifères, la majorité des marques épigénétiques sont effacées au cours de la formation des cellules reproductrices, les gamètes, puis au cours des premières étapes du développement de l’embryon. « L’existence de ces deux vagues d’effacement, rend difficilement concevable qu’un message épigénétique suffisamment spécifique et robuste puisse passer autant de barrières. Aucun mécanisme moléculaire connu à ce jour chez les humains ne permet d’envisager cela », assure Christophe de La Roche Saint-André.
Des traumatismes héréditaires ?
Pourtant, quelques études épidémiologiques publiées ces dernières années ont pu sembler accréditer l’existence d’une transmission épigénétique. Une étude datant de 2014 a par exemple montré qu’il existait chez les descendants des survivants l’Holocauste une augmentation du risque de développer une dépression ou des troubles anxieux sévères. Et le plus troublant, c’est qu’ils présentaient également des modifications épigénétiques similaires à celles de leurs parents sur les gènes impliqués dans la réponse au stress.
Mais voilà, pour de nombreux chercheurs en épigénétique comme Christophe de La Roche Saint-André, ce type d’étude épidémiologique est loin d’apporter une preuve formelle d’une transmission intergénérationnelle des marques épigénétiques : « on peut tout à fait imaginer que les personnes qui ont vécu ce grave traumatisme ont transmis leur stress à leurs enfants via leurs interactions sociales et non de manière épigénétique. L’une des participantes de cette étude a ainsi évoqué le souvenir des cauchemars vécus par son père. Cela pourrait expliquer pourquoi des marques épigénétiques similaires sont observées chez les deux générations ».
Autant dire que la thèse défendue par les psycho généalogistes, qui supposent une transmission inconsciente des traumatismes sur plusieurs générations, est en réalité bien loin d’être validée par les données de l’épigénétique.
Thomas Allard
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