Trois agressions d’élèves très choquantes, dont l’une tout à fait tragique puisqu’elle a engendré la mort d’un collégien de 15 ans, se sont produites en ce début avril à la sortie d’établissements scolaires, suscitant une grande émotion. Vendredi 5 avril, quatre mineurs et un adulte ont été placés en garde à vue dans le cadre de l’enquête ouverte pour « assassinat et violences en réunion aux abords d’un établissement scolaire », en l’occurrence le collège des Sablons à Viry-Châtillon (Essonne).
Trois jours auparavant, une collégienne de 13 ans a été rouée de coups – au point d’être momentanément dans le coma – à sa sortie d’un collège de Montpellier par deux mineurs de 14 et 15 ans et une mineure de 15 ans, élèves dans le même établissement. Mercredi 3 avril, à Tours, cinq jeunes filles âgées de 11 à 15 ans ont passé à tabac une collégienne de 14 ans en filmant la scène avec un iPhone. Le motif serait un conflit amoureux. La victime a eu le nez cassé. https://www.youtube.com/embed/HXkBDbm0fdY?wmode=transparent&start=0 France : mort d’un l’adolescent agressé à Viry-Châtillon, cinq personnes en garde à vue (France 24, avril 2024).
Ce n’est pas la première fois que des jeunes scolarisés se trouvent impliqués dans des affaires d’une telle violence. Longtemps, les agressions de ce type ont été traitées dans les médias comme de simples faits divers. En 1979, alors même pourtant qu’une enquête d’ampleur était alors menée pour la première fois dans l’Éducation nationale à propos des violences à l’école, on pouvait lire dans Le Monde les titres suivants : « Un collégien de 12 ans tue un camarade dans une bagarre à Aubervillers », « Un lycéen grenoblois de 17 ans blessé à coups de ciseaux en tentant de s’opposer à une tentative de racket ». Mais il faut attendre le début des années 1990 pour que les « violences à l’école » deviennent un thème en soi, récurrent et médiatisé.
Les violences à l’école : un problème public et des réponses institutionnelles
On peut certes citer encore quelques drames qui viennent sur la place publique. Cependant, dans les années 1990, le regard et la réponse institutionnelle portés sur ces drames changent. Le 28 juin 1992, un lycéen âgé de 18 ans s’écroule dans un couloir du lycée technique de Châteauroux après une bagarre avec un autre élève de sa classe de première, inculpé de « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Dans la cour du lycée d’Alembert de Saint-Etienne, un lycéen de 19 ans est blessé à mort par un couteau de chasse alors qu’il tentait de défendre l’un de ses camarades pris à partie par quelques jeunes. A la sortie du lycée Amiral-Ronarc’h à Brest, un lycéen de 16 ans est tué d’un coup de feu à l’issue d’une dispute par un lycéen de 16 ans.
Le premier « plan » d’envergure contre la violence à l’école date de 1992. La circulaire du 27 mai 1992 signée par Jack Lang (alors ministre de l’Éducation nationale) et par Paul Quilès (alors ministre de l’Intérieur) met en place pour la première fois dans l’histoire de l’école française une coopération entre Éducation et Police. Des groupes de suivi départementaux sont créés « autour du préfet et de l’inspecteur d’académie avec des représentants des services de la justice, de la police et de la gendarmerie ». Ces groupes départementaux doivent trouver des relais dans des groupes locaux de sécurité (GLAS) et des groupes opérationnels d’établissement (GOP). Ils ont pour ambition – dans le cadre de leur secteur territorial – « d’assurer la sécurité dans les établissements et leurs abords par la réalisation d’un diagnostic de sécurité et d’un plan d’action concret ».
Pour François Bayrou, le successeur de Jack Lang au ministère de l’Éducation l’école doit redevenir un « sanctuaire » comme il le proclame dès le début de l’année 1996 à l’Assemblée nationale :
« La violence à l’école n’est pas la violence de l’école ; elle est le reflet de la société. Pendant des décennies, on a plaidé pour une école ouverte qui ne soit plus un sanctuaire, pour que la cité pénètre à l’école. Il faut prendre une position inverse, travailler à resanctuariser l’école ».
Et le soir même de ce discours du 5 février 1996, il préconise sur TF1 l’installation de clôtures autour des établissements. Mais au printemps 1997 Jacques Chirac dissout l’Assemblée nationale, un nouveau Premier ministre, Lionel Jospin, est nommé et s’appuie sur une majorité de gauche « plurielle ». Dans sa Déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale du 20 juin 1997, la violence à l’école figure en bonne place :
« La sécurité, garante de la liberté, est un droit fondamental de la personne humaine. L’insécurité menace d’abord les plus faibles et les plus démunis d’entre nous. Nous devons tout particulièrement la sécurité à nos enfants, notamment dans les établissements scolaires. Un plan spécial contre la violence sera mis en place dès la rentrée prochaine ».
Effectivement, un nouveau plan est annoncé le 5 novembre 1997 – le troisième en trois ans. Il diffère des précédents sur deux points :
- il concentre les efforts sur neuf zones expérimentales pour en finir, est-il dit, avec « le saupoudrage des moyens qui a montré ses limites » ;
- il change d’échelle quantitative en passant de quelque deux mille appelés (comme dans le plan Bayrou de 1996) à plus de 25000 emplois nouveaux (pour l’essentiel des emplois-jeunes du ministère de l’Éducation), auxquels doivent s’ajouter ceux du ministère de l’Intérieur, soit plus de 8000 « adjoints de sécurité » qui doivent être recrutés avant la fin de l’année.
La fonction de ces adjoints de sécurité est « d’apporter une aide à la sortie des établissements », selon le partage des tâches évoqué par Claude Allègre, ministre de l’Éducation nationale : « Je me charge du problème de la violence à l’intérieur de l’école et Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, de l’extérieur ».
Avec le numérique, l’irruption du « happy slapping »
En quinze ans, de 1992 à 2006, pas moins de huit plans ou dispositifs ministériels de lutte contre les violences scolaires vont être annoncés. Quand on sait quel peut être le tempo des évolutions réelles dans le système scolaire, cela laisse dubitatif quant à une articulation possible avec le tempo ultrarapide des successions ininterrompues de ces « plans » ministériels, et très sceptique quant à la possibilité de leurs mises en place réelles, d’autant que leur continuité est loin d’être évidente.
Par ailleurs, en 2006, le phénomène du « happy slapping » fait irruption sur la scène scolaire et médiatique. Très à la mode chez certains adolescents en Angleterre, ce « jeu » consiste à gifler ou à boxer quelqu’un au hasard dans un lieu public sans aucune raison ; la scène (qui dure quelques secondes) est filmée à l’aide d’un portable, puis mise en ligne sur Internet et diffusée dans les heures qui suivent l’agression.
Le « Happy slapping » est apparu en France depuis quelques mois, et des dizaines d’adolescents en ont été victimes lorsque, le 24 avril 2006, il atteint pour la première fois une enseignante, professeure au lycée professionnel Lavoisier de Porcheville. L’un de ses élèves lui lance une chaise à la figure, l’accable de coups de poing et continue de la frapper au sol. La scène est filmée par un camarade de classe et diffusée quelques heures plus tard sur les portables de leurs relations.
Le ministre de l’Éducation nationale, Gilles de Robien, prend la mesure de l’émotion du monde enseignant devant ces nouveaux « risques du métier » et les dangers encourus par les élèves. Dans le « guide pratique » envoyé à chaque enseignant par le ministère à la rentrée scolaire 2006 (« Réagir face aux violences en milieu scolaire »), un passage est dûment consacré aux blogs, qui « apparaissent aujourd’hui dans les établissements scolaires comme le moyen de diffuser des images et des messages violents à caractère diffamatoire, raciste, antisémite, pornographique » et un autre au « happy slapping » :
« Le “happy slapping” est un phénomène de plus en plus répandu, et banalisé par les élèves dans les établissements scolaires. Face à ces actes, le personnel doit rappeler à ceux qui filment comme à ceux qui regardent qu’il s’agit de non-assistance à personne en danger ; que les auteurs, les agresseurs et les personnes qui ont filmé risquent des condamnations pénales. »
De nouvelles mesures pour sécuriser les écoles
Malgré cette succession de plans, le problème des violences à l’école n’est pas en voie de résolution, tant s’en faut. À la suite de la réunion interministérielle qui s’est déroulée le 4 avril dernier en présence de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, Nicole Belloubet, ministre de l’Éducation nationale, et Eric Dupont-Moretti, ministre de la Justice, et qui a rassemblé recteurs, préfets et procureurs généraux, plusieurs nouvelles dispositions ont été annoncées.
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Des « services de défense et de sécurité académique rassemblant l’ensemble des missions académiques liées à la sécurisation de l’espace scolaire », seront créés d’ici septembre 2024 « afin de répondre à l’objectif de renforcement de la prise en compte des enjeux de sécurité par l’institution ». Une « équipe mobile de sécurité nationale » composée d’une vingtaine d’agents expérimentés sera disposée à « intervenir sur tout le territoire en moins de 48 h en cas de crise aiguë autour d’une école ou d’un établissement ».
Un « réseau d’appui éducatif » permettant de déployer « une unité mobile d’assistants d’éducation pour protéger plusieurs enceintes scolaires avec des moyens supplémentaires afin d’apaiser le climat scolaire dans et autour des enceintes » sera expérimenté. Cette dernière mesure qui vise à répondre notamment à la sécurisation aux abords des établissements est montée au premier plan en raison des trois agressions dramatiques et fortement médiatisées de la semaine dernière. Elle est loin de faire l’unanimité car il peut apparaître que ce serait un dévoiement du rôle des agents prévus pour les composer (les AED, assistants d’éducation), qui ne sont pas formés pour être des « agents de sécurité ».
Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l’éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris Cité
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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