Noyées dans les arcanes de la décentralisation, les actions de l’Europe pâtissent d’une forme d’invisibilité. Andy Smith, directeur du centre Émile Durkheim de Science po Bordeaux, nous remet les pendules à l’heure européenne

On ne va pas se le cacher, le premier apport de l’Europe, c’est l’économie. Fondée sur la création d’un marché commun, l’Europe a institué entre tous les pays européens, des droits et des lois qui favorisent les échanges économiques et une forme de génération de la richesse.  « Les entreprises peuvent commercialiser avec d’autres pays européens sur des bases commerciales favorables, sans droits de douanes et ainsi bénéficier d’une certaine protection face à la concurrence, par exemple face à la Chine qui, elle, a des aides de l’État pour ses imports et ses exports », met en avant comme premier argument Andy Smith, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) et directeur du Centre Émile Durkheim de Sciences Po Bordeaux. Ses thématiques de recherche portent sur l’économie politique, l’intégration européenne et l’analyse de l’action publique internationale.

Ainsi, si à l’exemple de l’Angleterre, la France quittait l’Union européenne, cela se traduirait par une forte déstabilisation économique intérieure. « Les conséquences, énormes, seraient certainement les mêmes que pour le Brexit. La France devrait se récréer un droit national et on ne sait pas avec quelles orientations. En revanche, sur le long terme, on ignore si cela conduirait à une baisse de niveau de vie des Français. L’un des apports les plus forts de l’Europe, c’est donc bien une forme de stabilité », analyse Andy Smith.

Un système juridique plus fort qu’on ne croit

Si ce n’est pas très sexy, la grande force de l’Europe serait, au-delà d’un marché commun, son système juridique. « C’est un système organisationnel différent de ce qui peut exister dans d’autres regroupements dans le monde, un arrangement organisationnel basé sur le droit, ce qui n’est pas le cas véritablement de l’ONU ni par exemple de l’ACEUM, l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis-Mexique où il n’y a pas un seul système juridique qui s’impose. Concrètement, cela réduit l’échantillon de choix, solidifie, évite de négocier sur comment on va négocier ». Là encore, si la France faisait son Frexit, elle se devrait dès lors de reconstruire tout son système juridique, de renégocier avec l’ensemble des pays européens sur les questions d’accès au marché, sur les conditions d’emploi, toutes ces lois qui structurent aujourd’hui nos vies quotidiennes.

Agriculture, environnement, études… : elle est partout  

« Les actions de l’Europe sont souvent mélangées dans les arcanes de la décentralisation et il y a une forme d’invisibilité. Les gens ne savent pas toujours qui sont les porte-paroles de l’Europe en France, le rôle des régions dans les distributions des aides européennes. Il n’y a pas de lieu physique européen, comme les préfectures.  Beaucoup de ses citoyens ignorent souvent que le premier budget de l’Europe est un soutien à l’agriculture et son engagement fort, depuis 1988, pour aider les régions défavorisées. Lors des élections européennes, les débats d’ailleurs portent sur des questions souvent nationales ou de légitimité du dirigeant en place », regrette le directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques.

L’Europe, de fait, est un enchevêtrement de règles, de lois, de normes, souvent sous-estimées mais qui ont un impact très important. Sans l’Europe, par exemple, la circulation des personnes, avec le rétablissement des frontières, serait complexifiée. C’est aussi vrai pour la facilité à réaliser des études dans l’UE, grâce au programme Erasmus, gage d’une vraie ouverture culturelle pour les jeunes. « Sur les questions aussi de protection de l’environnement, sans des règles et des normes communes en Europe, beaucoup de pays pourraient privilégier des politiques qui ne pénaliseraient pas les entreprises. Chaque pays ferait selon ses intérêts économiques », pointe Andy Smith pour qui enfin l’Europe est aussi essentielle sur des questions géopolitiques.

Défendre des positions démocratiques et de politique étrangère

Créée pour pacifier les pays européens, l’Europe est enfin toujours un instrument de paix, un objectif qui n’a pas totalement disparu et un moyen de développer et défendre une politique étrangère. « On critique beaucoup l’Europe, mais sans elle, un pays n’aurait pas autant de pouvoir pour asseoir ses prises de position dans le monde, par rapport, par exemple, actuellement à la Russie ou dans les conflits au Moyen-Orient. L’Europe est également un instrument de promotion de la démocratie avec un consensus de tous les pays européens sur ce point. Ce sont aussi des valeurs et des principes », ajoute le chercheur en économie politique pour qui « l’enjeu des élections européennes est de taille, avec des décisions, selon les représentants qui ne vont pas être sans conséquences sur le quotidien de tous », rappelle Andy Smith.

Marianne Peyri

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