Durant l’année 2022, 112 femmes sont mortes sous les coups de leur compagnon ou ex-compagnon. On entend souvent que les violences conjugales concernent essentiellement les milieux défavorisés et les personnes alcooliques. Une idée reçue tenace
Les violences conjugales touchent de plus en plus de femmes. 14% des Françaises déclarent avoir été victimes de violences conjugales au cours de l’année 2022, contre 9% lors du confinement 2020, selon un sondage de l’institut Ifop pour la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF). En Nouvelle-Aquitaine, 50% des féminicides ont lieu dans les milieux ruraux où ne vit qu’un tiers de la population.
Le sociologue Éric Macé, également professeur de sociologie à l’université de Bordeaux et membre du Centre Émile Durkheim, dirige actuellement une recherche scientifique collective qui a pour but de déterminer le profil des auteurs des violences conjugales. “Lorsque les femmes déclarent avoir été victimes dans leur vie, ou dans les 12 mois précédents, il n’y a pas de différence majeure entre les femmes de milieux populaires, les femmes de classe moyenne, et les femmes des milieux privilégiés.”
Une différence de traitement judiciaire
En 2021, 122 femmes sont mortes sous les coups de leurs conjoints ou ex-conjoints. 25 d’entre elles ont signalé des violences antérieures aux forces de l’ordre, et parmi elles, 84% avaient déposé une plainte, selon le ministère de l’Intérieur.
Eric Macé précise : “Il y a deux traitements judiciaires très différents si on s’intéresse aux personnes qui sont poursuivies pénalement et condamnées. La première filière, c’est la condamnation. Là, ce sont massivement des milieux précarisés, qui ont des modes de vie chaotique, où la question des addictions à l’alcool ou aux types de drogue est omniprésente. Mais ce n’est pas cela qui est déterminant. Tous les alcooliques ne pratiquent pas de violences conjugales, et tous les gens qui pratiquent des violences conjugales ne sont pas alcooliques. C’est plutôt désinhibiteur qu’un facteur de cause.”
Pour le deuxième traitement judiciaire, il peut s’agir d’un rappel à la loi ou des injonctions de soins. “Pour les violences qui passent en alternative aux poursuites, on est plutôt sur un profil hyper standard de classe moyenne. À la différence des premières qui sont comme inscrites dans un mode de vie plus général, dans les milieux de classe moyenne, voire plus, y compris diplômé, on est sur des violences, la plupart du temps, isolées. Et il y a plein de raisons qui les expliquent.” Comme les séparations difficiles ou encore la perte soudaine d’un emploi.
Les milieux défavorisés sous surveillance
L’une des raisons qui explique la mise en avant des violences conjugales dans les milieux défavorisés se trouve également dans l’accompagnement social. Éric Macé souligne : “Les pauvres sont plus surveillés que les autres. Il y a des travailleurs sociaux. Il y a le voisinage”.
À l’inverse, plus les milieux sociaux sont élevés, plus il y a de sous-déclarations parce que les victimes ont des ressources internes à la famille ou au réseau amical. “Ne serait-ce que pour se réfugier ou pour faire un break. Elles ne font pas appel ni à la police, ni aux services sociaux. Il y a des enjeux réputationnels sans doute plus importants. C’est plutôt là qu’on va trouver des formes d’emprises, c’est-à-dire de violences psychologiques, de surveillance paranoïaque, qui ne se traduisent pas forcément par des coups, mais par une ambiance. Et alors là, c’est beaucoup plus difficilement détectable.”
Le facteur central majeur n’est pas lié à l’alcool, ni aux milieux sociaux. Les violences conjugales interviennent dès lors que la masculinité de l’agresseur, son ego, est touchée, mais aussi dans le cadre d’une reproduction de schéma violent auquel l’agresseur a lui-même toujours été confronté.
Nolwenn Le Deuc
Avec le soutien du Ministère de la Culture
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