Face aux difficultés d’approvisionnement voire de rupture de médicaments, le gouvernement a annoncé la relocalisation de la production de 50 médicaments et a présenté une liste de 450 médicaments « essentiels » pour lesquels disposer de stocks. Des mesures jugées insuffisantes par les différents acteurs concernés

Hausse de la demande mondiale de 5 % par an, concentration des détenteurs des principes actifs, destructions de lots, inflation, triple épidémie récente de Covid-19-grippe-bronchiolite, etc. Tout cela rend certaines molécules inaccessibles. À tel point que les pénuries dans les officines ont été multipliées par trente en dix ans*.

Toutes les catégories de produits sont touchées par la pénurie : médicaments contre les troubles neurologiques, métaboliques (diabète) ou cardiologiques, antiinfectieux, antibiotiques, anticancéreux et autres pilules abortives, etc. Des carences qui compromettent les chances de guérison, notamment pour les patients soignés pour un cancer, selon une étude menée par la Ligue contre le cancer avec l’institut de sondage IPSOS publiée en 2020.     

« Gare aux trous dans la raquette ! »

Face à ces pénuries qui s’aggravent, le gouvernement a annoncé le 13 juin la relocalisation accélérée en France de la production de 50 traitements ciblés. Il a aussi dévoilé une liste de 450 médicaments « essentiels » pour lesquels les industriels devront disposer de stocks pour quatre mois minimum. Des mesures qui ne contentent pas les médecins et pharmacologues, comme en témoignent un article paru dans Le Monde.

Le professeur Mathieu Molimard, pneumologue et chef du service pharmacologie du CHU de Bordeaux interroge : « La relocalisation pour 50 médicaments, c’est bien, mais est-ce suffisant ? Et seront-ils vraiment produits de A à Z en France ? Quant aux 450 médicaments « essentiels », pourquoi ce nombre et pas plus ? Qu’entendons-nous par « essentiels » ? Gare aussi aux trous dans la raquette ! Par exemple, un seul antituberculeux a été retenu alors qu’il en faut trois pour traiter une tuberculose. À l’inverse, on trouve cinq médicaments anti-ulcères qui sont totalement substituables. Par ailleurs, certains médicaments sont, selon la Haute autorité de santé (HAS), sans grand intérêt thérapeutique, d’autres ne sont plus prescrits depuis belle lurette ! La fluindione (Previscan) figure dans la liste alors qu’un avis de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a banni, en 2018, cet anticoagulant de toute nouvelle prescription ! »

Incohérences, manque de transparence et de rigueur

La manière dont la liste a été élaborée est aussi critiquable. Le pharmacologue et pneumologue note : « Quelques sociétés savantes ont été associées mais pas toutes. L’ANSM n’a, semble-t-il, pas été sollicitée non plus ni, plus grave, la Haute autorité de santé (HAS) ! La sélection ne peut être pilotée uniquement par le ministère de la Santé, l’industrie pharmaceutique et une poignée de sociétés savantes. C’est à la HAS de juger du service médical rendu ! »

Une deuxième version de la liste devrait voir le jour d’ici quelques mois.

Les laboratoires pharmaceutiques réclament une hausse des prix

Quant aux laboratoires pharmaceutiques, ils ont d’autres requêtes. Thomas Borel, directeur scientifique de Les entreprises du médicament (LEEM) indique : « Nous demandons une meilleure coordination des systèmes d’information sur les tensions et ruptures d’approvisionnement à chaque niveau de la chaîne du médicament (industriels, pharmaciens, grossistes-répartiteurs). Ces différents acteurs peinent aujourd’hui à partager entre eux leurs données, notamment car c’est un secteur concurrentiel et l’échange d’informations avec les professionnels de santé est extrêmement réglementé. »

Thomas Borel en profite pour rappeler que le LEEM réitère son plaidoyer « pour une hausse des prix des médicaments en situation de vulnérabilité économique. La faible rentabilité de certains produits n’encourage pas le maintien de leur production et contribue, in fine, à aggraver les pénuries ».

*En 2022, 3761 signalements de ruptures ou risque de ruptures de stock ont été enregistrés contre 1497 en 2019 selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Florence Heimburger

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