Aujourd’hui, la surface de la mer est 30 % plus acide qu’il y a 150 ans. En quoi cette situation est-elle problématique ? Nous avons posé la question à Catherine Jeandel, océanographe du CNRS au Legos (Toulouse), et co-responsable de l’expédition Swings dans l’océan Austral

« Depuis le début des années 80, on détecte une acidification des eaux de surface anormale. Cela résulte du fait d’une partie du gaz carbonique (CO₂) émis en excès par les activités humaines dans l’atmosphère pénètre dans l’océan. Lorsqu’il pénètre dans l’océan, il se dissocie et cette dissociation s’accompagne de réactions chimiques. Typiquement, si je prends une bouteille d’eau et que je la gazéifie avec du gaz carbonique, cela va légèrement augmenter son acidité. Cette acidification est liée à une libération d’ions hydrogène (H+) par réaction entre le gaz et l’eau. Et plus les ions H+ sont nombreux, plus le milieu est acide.

Plus de gaz carbonique, même en profondeur

L’océan n’est pas homogène. Dans les parties de l’océan où les eaux sont plus vieilles, l’acidité est plus marquée. À la fois pour des raisons de température, et d’âge de ces eaux. Le long des côtes californiennes et de l’Oregon par exemple, les eaux sont plus acides qu’en Bretagne. On a aussi des gradients d’acidité entre la surface des eaux froides et des eaux chaudes, car le gaz carbonique se dissout mieux dans des eaux froides.

Nous nous sommes aussi rendu compte, grâce aux campagnes scientifiques récentes menées à bord du Marion Dufresne, que le gaz carbonique anthropique était maintenant présent jusqu’à plus de 100 mètres alors qu’il y a quelques années on le retrouvait seulement dans les 100 premiers mètres.

Début 2021, une équipe co-dirigée par Catherine Jeandel a réalisé une campagne scientifique à bord du navire océanographique Marion Dufresne (ici devant l’île Tromelin). Ce, dans le cadre de l’expédition SWINGS dans l’océan Austral. Objectif : Mieux comprendre la séquestration du CO₂ atmosphérique dans l’océan. PHOTO Alexandrine Civard-Racinais

Le gaz carbonique ennemi du calcaire et du vivant

Cette situation a un impact sur les organismes vivants qui ont des coquilles calcaires et vivent dans les eaux de surface. Prenons un exemple pour comprendre les conséquences de l’acidification du milieu. Lorsque l’on veut détartrer une cafetière, on utilise du vinaigre blanc. Avec un pH à 1, le vinaigre est très acide ce qui dissout le calcaire. A partir de là, il est facile d’imaginer l’impact de l’acidification des eaux de surface sur le développement des coraux, des huîtres, des moules et même des petites algues. (lire Les huîtres auront-elles les coquilles molles ?)

Au début de leur vie, les larves d’huîtres n’ont que 48 heures pour démarrer leur calcification. Dans les eaux des côtes de l’Oregon, impactées par l’acidification, les ostréiculteurs se sont rendus compte que ces larves n’y n’arrivaient plus ! C’est aussi un problème pour les algues qui ont de petites coquilles calcaires toutes fines que l’on voit très bien au microscope électronique. Et derrière ces algues, il y a les crevettes qui vont les brouter, les poissons qui mangent les crevettes, etc.

Il est urgent de limiter nos émissions de gaz carbonique

L’acidification des océans est une épée de Damoclès terrible pour l’humanité, car cela met en danger la ressource alimentaire océanique. Il est urgent de réagir et de limiter le plus possible nos émissions de gaz carbonique. La meilleure molécule de CO₂ c’est celle qui reste dans le sol ! Il faut donc arrêter toute activité extractive le plus rapidement possible, ne pas en démarrer de nouvelles et limiter tout ce qui est énergivore sinon on n’y arrivera pas ! »

Propos recueillis
par Alexandrine Civard-Racinais

Le chiffre : En 200 ans, le pH des océans est passé de 8,5 à 8,1. Selon le sixième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le pH des océans pourrait descendre à 7,8 environ d’ici 2100. Cette situation rendrait les océans 150 % plus acides et affecterait la moitié de la vie aquatique.

A savoir : Le pH est la mesure de l’acidité ou de l’alcalinité d’une solution. Il indique la concentration en ions hydrogène (H+) et en ions hydroxyle (OH-) sur une échelle de 0 à 14. Si le pH d’une solution est inférieur à 7, elle est acide.

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